Orson Welles et William Shakespeare au cinéma, acte II. Quatre ans après son très onirique et ténébreux Macbeth, le réalisateur vient adapter l'histoire d'Othello, le "Maure de Venise". Nouvelle oeuvre entachée par des problèmes de production, Othello permet à Orson Welles de revenir à ses sources théâtrales, mais force est de constater ici que le cinéma va prendre le dessus sur le théâtre.


Othello s'ouvre de la plus belle des manières, dans une séquence impressionnante, jouant sur les perspectives et différentes lignes directrices donnant un aspect très géométrique à la séquence, mais aussi quelque chose d'irrationnel et fantastique. Des cortèges avancent, portant les dépouilles d'Othello et Desdémone. Quelques secondes à peine se sont écoulées, et le dénouement tragique de l'histoire s'est déjà partiellement dévoilé devant nos yeux. Si les œuvres sont différentes à bien des égards, il ne semble pas inapproprié de se permettre quelques comparaisons avec Macbeth. Si Othello est bien moins manipulateur que le personnage du précédent film, il s'avère tout aussi pathétique et victime des machinations qui s'orchestrent autour de lui. Irréprochable, sage, fort, c'est un homme de principes que rien ne semble pouvoir ébranler, sauf l'amour et la passion.


Général de guerre, il est habitué à conduire des missions pour défendre son armée et les terres de ses souverains face à des attaques extérieures, mais c'est bien de l'intérieur que va provenir la menace. Celle-ci est incarnée par Iago, serviteur fidèle et surtout manipulateur, souhaitant semer le chaos et faire chuter Othello, ce qu'il parviendra à faire. Tout comme Macbeth, autant dans sa version littéraire que cinématographique, Othello est une fable. L'oeuvre précédente s'intéressait au pouvoir, à la convoitise, et au danger de l'aveuglement qu'il peut provoquer. Othello est une fable sur l'amour et les épreuves auxquelles il doit se confronter, notamment la jalousie, ici apportée par Iago, et savamment mise en scène et jouée par un Orson Welles touchant d'impuissance.


Car, comme dans toute fable, il y a une place pour les métaphores et les allégories, et le personnage de Iago incarne cette jalousie maladive qui vient s'immiscer entre Othello et Desdémone et ronger leur amour qui semblait alors indéfectible. Contrairement à dans son Macbeth, Orson Welles choisit certes de continuer à utiliser les codes du théâtre dans son film, mais il le fait de manière moins manifeste, en se cantonnant surtout à de grandes clameurs et à une diction très caractéristiques du théâtre tragique classique. Les décors, quant à eux, s'avèrent plus authentiques, et Othello est finalement une oeuvre plus cinématographique que théâtrale. C'est d'ailleurs une curiosité de voir cette hybridation persister voire parasiter le film, témoignant de fulgurances visuelles et de quelques maladresses dans le montage, dont on ne sait pas réellement s'il s'agit d'une mésentente avec la production ou de simples erreurs.


Dans tous les cas, Othello est une nouvelle adaptation convaincante de Shakespeare de la part d'Orson Welles, un artiste brisé, à l'image de son personnage qui bascule peu à peu dans la nuit. Plus terre-à-terre que son Macbeth, Othello offre une nouvelle fable intemporelle de qualité, qui contient son lot de beaux passages et témoigne du talent de son créateur.

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le 2 févr. 2018

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