Depuis Cronos, Guillermo del Toro a fait du chemin et, en quittant son Mexique natal, a su concilier projets personnels et films de commande. Ces derniers sont loin d’être des produits aseptisés : on y retrouve au contraire une partie de son ADN. Guillermo del Toro est – de par son physique et son caractère – une sorte de monstre : il faut au moins cela pour en imposer aux banksters qui dirigent Hollywood. S’il n’a plus tourné depuis l’échec commercial d’Hellboy 2, il a paradoxalement réussi à propager son univers au-delà de ses propres réalisations, consolidant ses liens professionnels avec ses amis et compatriotes Alfonso Cuarón (Les Fils de l’homme, Gravity) et Alejandro González Iñárritu (Amours chiennes, Babel), et profitant surtout de la guerre économique qui faisait rage entre Disney et Dreamworks. En acceptant de devenir producteur pour le studio de Spielberg, del Toro a progressivement réussi à imposer son univers à ses différents produits animés, de Kung Fu Panda 2 aux 5 Légendes, en passant par Le Chat Potté. Il a également profité de ce temps libre pour prendre en main diverses séries B (Splice, Mamá), qui lui ont permis de se diversifier. Enfin, si la vision de Prometheus l’a poussé à abandonner une bonne fois pour toutes son adaptation des Montagnes Hallucinées de Lovecraft, son travail préparatoire titanesque sur Bilbo le Hobbit, en revanche, a été mis en valeur par Peter Jackson (difficile, lorsque Radagast apparaît, de ne pas penser à l’obsession du cinéaste pour les insectes). Qu’importe, donc, si l’auteur a dû renoncer à l’adaptation de Tolkien : son tour de force est d’avoir imposé sa part de monstruosité au sein de la machine hollywoodienne.

L’intérêt de Pacific Rim se trouve là : l’affrontement entre le monstre et la machine. Il n’y a pas de mystère, nous dit-on : si les actionnaires veulent qu’une machine fonctionne, ils ont besoin de l’imaginaire d’un pilote. De même, si un cinéaste veut survivre à Hollywood (et accoucher d’un film dont il n’aura pas honte), il doit composer avec l’actionnaire. Pacific Rim se veut ainsi une réflexion sur la notion de blockbuster : le contrôle et la réussite d’une telle machine nécessitent deux pilotes, chacun mettant de côté une partie de son être, pour offrir à la machine le meilleur de ses facultés. Guillermo del Toro met donc en scène la lutte interne à l’oeuvre dans un film d’une telle ampleur et, à travers les personnages interprétés par Idris Elba (The Wire, Luther, et bien entendu Prometheus) et Max Martini, exprime son admiration pour des cinéastes qui, dans des circonstances comparables, ont fini par laisser des plumes (on pense à John McTiernan). Si del Toro admire ces têtes brûlées, il ne s’estime pas de leur trempe. Chaque commande, chaque série B est pour lui l’occasion de s’exercer, de tester la solidité de son univers au sein de l’appareil. Mais, pour ne pas en crever, il s’astreint à faire des concessions – ici, ce sont les personnages, et le romantisme cher à l’auteur, qui pâtissent de la monstruosité du projet. On est loin du Labyrinthe de Pan, ou de L’Échine du Diable.

Cependant, Pacific Rim est une incroyable réussite, totalement immergée au sein des forces occultes et des légendes païennes : Del Toro impose à Hollywood une machine possédée par le mythe de Cthulhu. Noyés dans les ténèbres, les robots y combattent l’innommable cher à Lovecraft. L’écrivain cherchait à provoquer la terreur en laissant au lecteur la charge d’imaginer l’horreur ; Del Toro procède ici d’une façon semblable. En réalité, il faut remonter à Urotsukidodji pour voir à l’écran un si bel hommage au Nécronomicon. A la faveur d’une poignée de scènes, il est même possible d’imaginer ce qu’aurait donné l’adaptation des Montagnes Hallucinées. Cette noirceur baroque, del Toro la customise, l’enrichissant de sous-cultures plus ou moins méprisées mais qui, aujourd’hui, sont la norme à Hollywood : Comics, OAV, jeux vidéos et blagues potaches. L’association s’avère plus ou moins heureuse : si del Toro a digéré les animés et le travail de Mike Mignola (difficile d’aborder le cinéma de del Toro sans s’être confronté aux œuvres de celui-ci), c’est sur la déconne qu’il pèche un peu. Dans un tel projet, il faut l’avouer, les private jokes et les actes gratuits déstabilisent. Peut-être faut-il y voir un ultime pied de nez à l’encontre des banksters. La chose semble ainsi évidente, lorsque le réalisateur nous gratifie d’un plan (numérique) sur la destruction d’un immeuble, se terminant sur l’image d’un boulier. Un plan qui ne se justifie ni en termes de mise en scène, ni d’un point de vue financier. Guillermo del Toro impose ainsi sa patte, et prouve que le monstre qu’il est demeure capable de tout face à la machine hollywoodienne.

En fin de compte, Pacific Rim sert de prétexte à offrir à Ron Perlman un cadre idéal, au sein duquel il puisse s’exprimer en toute liberté. Même aux manettes d’une machine aussi puissante, del Toro n’en fait qu’à sa tête, à l’image du personnage interprété par Charlie Hunnam. Lequel, comme Ron Perlman, est l’un des héros de Sons of Anarchy. « Fils de l’anarchie » : voilà qui irait bien pour qualifier Guillermo del Toro.
m_gael
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le 4 janv. 2014

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