Ils ont raté leur vie, Tyldum leur histoire

Quoi qu'en dise sa publicité mensongère (Passengers serait, selon ses bande-annonce, un film à twist visant à trouver l'explication du réveil soudain des protagonistes) et son affiche de Teen Movie, ce petit film de Morten Tyldum, déjà à l'oeuvre sur Headhunters et Imitation Game, est un petit divertissement sans prétention qui aura eu le mérite de surprendre son spectateur en mélangeant trois genres cinématographiques en un film.


Si le procédé est plutôt simple et linéaire (une partie pour un genre d'une durée d'environ une demi heure), il n'en reste pas moins que ce Robinson Crusoé sauce drame romantique surprend quand il vire au survival à suspens, gérant, il faut bien l'avouer, très bien son atmosphère et la montée des tensions, alors qu'il restait, jusque là, dans un classicisme quelque peu décevant. C'est notamment au travers du personnage de l'étrange Michael Sheen que l'on sent la virée soudaine de style de l'intrigue : barmaid robotique porteur d'un hommage inattendu au Shining de Kubrick, il apporte humanité et vérité à une oeuvre qui jouait, jusque là, sur le mensonge comme source d'amour.


Et s'il joue bien sur les émotions de ses personnages et de son spectateur (la dernière partie est d'une efficacité redoutable), Passengers aura cependant plus de mal à aller en profondeur dans son propos, qu'il évoque plus que ce qu'il le développe, laissant finalement l'impression d'être un peu passé à côté de son sujet, celui d'un homme devenu fou d'amour qui et prêt à tuer pour que l'objet de ses fantasmes ose seulement le regarder, et qui lui ment pour qu'elle l'aime.


On parle ici d'un Chris Pratt qui, loin de ses rôles préconçus de Jurassic World ou Les Gardiens de la Galaxie, joue l'anti-héros d'une histoire qu'on pensait pourtant très convenue, où le héros, plastiquement aussi beau que l'héroïne, devait être l'effigie de la morale bienpensante américaine, sorte de vecteur de l'héroïsme de l'oncle Sam par le biais d'une histoire galactique de solitude et d'amour.


Et s'il vire avec malice vers le thriller psychologique en dernière moitié de film, c'est qu'il omet cependant de vraiment s'attarder sur les réactions de Jennifer Lawrence lorsqu'elle apprend la raison de son réveil, préférant cntinuer dans sa lignée de divertissement brut plutôt que d'apporter au grand public un semblant de réflexion sur l'amour, la question du point de vue, la morale, ce qui définit qu'on est bon ou mauvais, et surtout, ce qui définit qu'une relation amoureuse est valable ou non (en rapport, ici, avec le mensonge qui crée la relation et la vérité qui la détruit; doit-on ainsi rester dans le mensonge pour être aimé?), tout un tas de thématiques et de questions intéressantes laissées en suspend pour conduire sur une conclusion toute aussi convenue que tout le reste, loin d'être inventive ou seulement courageuse.


Elle gâche toute l'évolution narrative de l'oeuvre par un retournement de situation aberrant servant à conduire sur un happy ending forcé, certes joliment tourné et narré, mais trop peu naturel et cohérent pour le considérer comme une conclusion valable. Cette histoire de réanimation, de voyage dans l'espace, c'est un grand n'importe quoi dont se serait bien passé le film, qui perd la majeure partie de son intimisme au moment de se lancer dans une action incohérente et spectaculaire, à trop grande échelle pour qu'on comprenne seulement l'intérêt de lancer un film humain sur les rails du gros blockbuster hollywoodien (en quand même moins spectaculaire).


Peut-être par peur d'être délaissé par le grand public, Passengers a gâché une part de son potentiel en se rendant plus commun ue ce qu'il pouvait être, alors qu'il manquait aussi du courage de développer ce qui nous intéresser véritablement dans l'oeuvre : un thriller psychologique à taille humaine et possiblement cruel, où l'on nous aurait proposé une autre vision de l'amour, un amour toxique qui aurait pu aller très loin dans la vengeance, avec un esthétisme romantique et sensible manquant au travail de mise en scène de Morten Tyldum, malheureusement trop proche de ses effets spéciaux et de ses tics de réalisation des années 2010 pour nous proposer un film qui soit plus une oeuvre qu'un produit commercial formaté.


C'est trop gris, trop en demi-teinte, pas assez poussé : si ses personnages son bien développés, Passengers manque assurément de savoir comment les gérer dans l'intrigue, leur réservant un rôle de simples amants de conte quand il aurait pu les approcher des amours maudits de la mythologie grecque. On est passé à côté d'une grande histoire d'amour.

FloBerne

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