« Et je te donnerai, ma brune, Des baisers froids comme la lune Et des caresses de serpent Autour d’une fosse rampant. [...] Comme d’autres par la tendresse, Sur ta vie et sur ta jeunesse, Moi, je veux régner par l’effroi. » Le Revenant, Baudelaire, Les Fleurs du Mal



Habitué des adaptations et des références cinématographiques, Brian De Palma revient avec Passion à l’exercice du remake. Un exercice familier oui, mais paresseux ici avec cette adaptation de Crime d’Amour, film français d’Alain Corneau. Passion, histoire d’un jeu de manipulation pervers entre Isabelle, Noomi Rapace, et sa supérieure Christine, Rachel McAdams, est le théâtre d’une intense dualité, d’un dédoublement mais aussi d’une surprenante inégalité, aussi bien dans le fond que dans la réalisation, qui en laisseront plus d’un dubitatif.


Le film dès le début divise les spectateurs en deux catégories : ceux qui ont vu Crime d’Amour et ceux qui ne le connaissent pas. Les spectateurs l’ayant vu seront probablement surpris, voire effarés de constater que la première partie du film reprend à la réplique près le film d’Alain Corneau. Le début présente exactement les mêmes scènes. Cette première partie est donc plutôt indigeste, on finit par se demander si on ne se moque pas de nous. Quel geste artistique y a-t-il derrière un vulgaire copier/coller ? Les spectateurs ne l’ayant pas vu pourront sans doute apprécier la mise en scène parfois très élégante et l’intrigue du meurtre presque parfait.
Brian De Palma y laisse tout de même sa patte. En plantant son décor dans le domaine de la téléphonie haute gamme plutôt que dans l’agro-alimentaire, il offre un domaine plus moderne, plus branché. Là où Crime d’Amour reste dans la suggestion de la sexualité et dans la réflexion, Passion est plus charnel, plus sexuel. De Palma met en place une véritable tension sexuelle entre les différents personnages. C’est bien un des rares aspects où le réalisateur réussira à surpasser réellement Alain Corneau. Pour le reste, rien de bien surprenant, si ce n’est la fin, exemple de twist réussi.
Si le fond ne présente aucune originalité, la forme reste intéressante à quelques égards, notamment en structurant clairement le film en deux parties distinctes. La mise en scène est, dans la seconde partie du film, très élégante avec de longs travellings suivant les personnages comme un rôdeur, un voyeur. La vue subjective de l’agression de Christine est d’une qualité et d’une intensité qui font défaut au reste du film. Cette scène est d’ailleurs mise en valeur dans la bande annonce et on était en droit de s’attendre à la même tension, au même rythme que dans celle-ci, ce qui n’est définitivement pas le cas avec une première partie lente. La musique, signée Pino Donaggio, collaborateur récurrent de De Palma, est très présente et permet de renforcer la tension dramatique de la deuxième partie, alors que celle du début semble empruntée à quelques mauvais films érotiques. Mais là où le film est vraiment esthétique et dépasse le film original, c’est par le jeu de lumière bleue, froide que l’on peut voir à la fin, là où la tension est à son maximum. Brian De Palma joue avec les ombres de stores dans la majorité des plans. Les personnages apparaissent donc dans une atmosphère où règne à la fois l’obscurité ( la culpabilité, la noirceur enfouie en chacun de nous ) et la lumière ( qui menace de dévoiler la vérité ). Ils semblent tous sur la corde raide, jonglant entre manipulation et peur d’être découvert.
Passion est un film de dualités à plusieurs niveaux. La plus évidente, la rivalité entre deux femmes en apparence différentes, unies par une même ambition, une même soif de domination. Entre une soeur jumelle, peu crédible, et l’utilisation d’un masque à son effigie, Christine est le personnage double par excellence. Il est à regretter que le masque ne soit qu’un effet de style, simple symbolique de son narcissisme et n’ait pas une réelle utilisation dans l’intrigue qui aurait pu en être renforcée. Les sentiments dans ce film sont incroyablement doubles également, les différents personnages s’aiment passionnément autant qu’ils se haïssent. Les différents couples, agissent comme en miroir, comme la répétition d’un même couple. Ils sont attirés les uns vers les autres irrémédiablement mais se détruisent les uns les autres avec la même fureur. Brian De Palma renoue, logiquement, avec une technique qu’il affectionne : le split-screen, que l’on avait déjà vu remarquablement utilisé dans Carrie au bal du diable. Le même génie n’opère pas dans Passion. Le split-screen n’est utilisé qu’une seule fois, ce qui est dommage pour un film traitant à ce point de la duplicité, qui plus est pour une séquence assez longue d’un ballet dans lequel les danseurs nous regardant droit dans les yeux nous mettent plutôt mal à l’aise.


La dualité finira par être contagieuse tant le film divisera nos sentiments, entre ennui et intérêt, alors qu’il aurait les capacités de nous fasciner du début à la fin si son traitement était aussi soigné que la fin du film. Il est dommage de devoir attendre la toute fin pour être enfin surpris. L’alchimie ne prend pas, la passion souffle le chaud et nous ne recevons que du froid.


Morgane Jeannesson
MorganeJ
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le 19 févr. 2013

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