Pat Garrett et Billy le Kid est un film qui marque les esprits à bien des égards ; les musiques de Bob Dylan, la classe légendaire de James Coburn, et surtout le pessimisme de Peckinpah qui fait écho aux déboires de son temps. Un des nombreux aspects du film qui m’a particulièrement marqué est ce qui touche dans le film à la loi, son message et sa représentation.


Dans les années 70, il faut se souvenir que les vietnamiens viennent d’infliger une sacré déculotté à l’Oncle Sam, le scandale du Watergate bat son plein et une crise pétrolière va aussi marquer la décennie. De fait, les instances dirigeantes ont mauvaise presse, chose que l’on retrouve dans le film avec le traitement que fait Peckinpah des personnages qui représentent la loi et l’ordre. Il faut voir les adjoints de Pat Garrett ; l’un est un fou de Dieu, l’autre un assassin et voleur de chevaux, un autre est découragé et trouve que se battre pour cette ville n’en vaut pas la peine, l’un est directement nommé par les lobbys, et Pat Garrett lui-même est un ancien compagnon de routes de Billy the Kid qui occupe ce poste par pur opportunisme, porté entre autres par des intérêts politiques et économiques (les gros éleveurs). On est loin de l’image d’Épinal du shérif qui agit de bon cœur pour protéger et servir. C’est notamment très bien illustré par une scène, celle du duel entre l’adjoint et Billy ; les deux duellistes se livrent un duel déloyal, l’adjoint se retournant aussi à mi-chemin. Pourtant, le Kid tente de laisser des portes de sorties à l’adjoint ; il lui demande s’il n’y a pas d’autres alternatives. Celui-ci répond que non, comme poussé par une fatalité, fatalité qui reste inexplicable (il en était d’ailleurs de même au moment de son évasion, le Kid ne souhaitait pas abattre le premier adjoint Bell).


La loi est donc dépeinte ici comme quelque-chose de vacillant, on passe vite du statut de criminel à celui de shérif. Sur un mot, sur une demande, par des circonstances hasardeuses. Le personnage de James Coburn en est totalement conscient. Il sait qu’il a changé depuis qu’il a accepté ce poste et ce nouveau mode de vie qui ne le comble guère. D’ailleurs, il n’y a pas grand-chose qui le distingue de Billy ; il tue, il frappe des femmes, il pousse d’autres personnes à mourir pour lui (ce vieux shérif qui meurt au bord d’une rivière sous le regard attristée de sa femme) quand on ne voit jamais vraiment les exactions du Kid à l'écran (il est accusé de meurtres et de pillage de trains qui ne sont jamais montrés). Ce qui donne à son duel contre le Kid un petit arrière-goût assez amer puisqu’en plus de cela, il n’agit pas de bonté de cœur. Il souhaiterait aussi que le Kid s’enfuie au Mexique, comme s’il voulait laisser vivre cet idéal de liberté qui s’incarne dans le personnage de Kris Kristofferson. Le fait que les deux antagonistes aient été amis rajoute une dose de tragique à ce combat presque générationnel. Générationnel, puisque Pat Garrett justifie son retournement de veste par son vieil âge et sa volonté de vivre tranquille, opposé donc à un criminel surnommé le Kid.


Le Kid c’est donc cette forme de jeunesse qui ne se plie pas aux règles, qui tire dans le dos de ses adversaires et pour qui l’honneur est un vain mot (son alter ego Pat Garrett peut-il d'ailleurs représenter l’Honneur, lui qui a tourné le dos à ses anciennes convictions et qui traque de vieux amis ?) mais qui est aussi témoin de la violence des puissants (la scène de la mort de son ami Paco), il incarne une certaine forme de liberté que les populations locales ne rejettent pas totalement ; ces gens ne vont jamais le dénoncer. Pat Garrett finit toutefois par retrouver le Kid, et, comme dans la légende, tire deux fois. Sauf que Garrett tire une fois sur le Kid, et une autre fois sur son propre reflet dans un miroir. Il tue non seulement cet idéal de liberté, incarnée dans cette jeunesse, mais aussi une part de lui-même qui restera à jamais brisée. Le film s’achève donc sur un Pat Garrett chassé par un enfant qui lui lance des cailloux, la symbolique est forte : une loi plus ou moins arbitraire qui s’abat contre la liberté, contre des idées et des valeurs, mais qui signe aussi la mort d’un mythe.


Le film se fait l’écho d’un certain ressenti dans le contexte de sa sortie, écho à la fin du genre du western bien sûr, mais écho aussi à l’Histoire, celle de Pat Garrett et Billy the Kid faisant partie de ce socle des mythes fondateurs de l’Amérique, terre de liberté et de justice. Le film renverse le propos, c’est la loi qui tue la liberté car la loi est dictée par des intérêts, en l’occurrence, celle des plus gros ; en d'autres termes, les Etats-Unis d’Amérique ne se sont pas construits sur la liberté, mais sur la simple loi du plus fort.

Ji_Hem_
8
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le 28 févr. 2021

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