La liberté, c’est ce truc un peu abstrait dont on ne prend conscience que quand elle disparait ou est menacée.
La liberté de la presse, c’est ce serpent de mer dont on nous rabat les oreilles à tel point que, comme la moitié des choses qui se passent dans le monde, on a l’impression que ça fait partie des meubles: c’est pratique quand on arrive à retrouver ce qu’on cherche dans les tiroirs mais c’est aussi fourre tout et on y perd vite son latin.


Alors oui, ça fait du bien de se souvenir de ce que doit être le rôle des journalistes.
A une époque où on a découvert l’existence de fausses nouvelles, où l’information qu’elle soit réelle ou non fuse à une vitesse folle, où chacun croit savoir mieux que son voisin parce qu’il a vu les images, où tout le monde a un avis sur tout, et peut l’exprimer ailleurs qu’au café du coin, où on peut vivre en direct les prises d’otages, les libérations au même titre que des épisodes de télé réalité, où on oublie ce qui est important au profit de choses insignifiantes.
Nous vivons une époque formidable.


Pentagon papers n’arrive pas sur nos écrans par hasard, et il est difficile de ne pas y voir une piqûre de rappel, une incitation à la vigilance.


Papy Spielberg a enchanté notre enfance, c’est fou de se dire qu’il continue à habiter nos vies: son pentagon papers épouse parfaitement le moment, preuve qu’on peut vivre dans le microcosme cinéma et garder les pieds sur terre.
Et comme souvent avec le bonhomme, la manière est belle: il maîtrise mise en scène et réalisation - on le savait déjà - en rendant dynamique et vivante une course à l’information qui n’a rien de palpitant ailleurs que dans les journaux.
L’histoire de base est certes passionnante, mais comment la rendre cinématographiquement intéressante?
Et bien c’est tout simple: en l’incarnant.


C’est là aussi que ça vaut le coup de ne pas être le petit nouveau: on peut s’entourer des meilleurs à tous les postes, et surtout d’excellents acteurs.
Tom Hanks et Meryl streep sont les figures de proue d’un casting impeccable.


Mais faire vivre l’histoire, ce n’est pas se limiter à de bons interprètes, c’est avant tout une façon de raconter, de se tenir au niveau des hommes et des femmes qui ont participé à la tranche qu’on entend raconter.


C’est là aussi que la patte Spielberg se fait sentir: on comprend totalement les dilemmes qui animent les personnages.
Et le meilleur de tous c’est cette femme au centre du cyclone.
Spielberg fait de Kay Grahamm le pivot de l’histoire: c’est à la fois l’héritière qui manque de légitimité, la femme dans un milieu d’hommes, la mère qui veut pouvoir léguer un héritage, la chef d’entreprise, la femme mondaine qui veut préserver ses relations, mais c’est aussi la personne à qui on soumet un cas de conscience, la femme qui doit décider si elle veut prendre le risque de perdre son journal ou au contraire de le garder à flot avec le risque de ne pas pouvoir y publier ce qu’elle souhaite, de perdre ce qui fait la sève du travail de journaliste.


Et encore ce n’est qu’une partie du problème, le film nous laisse réfléchir aux enjeux à tous les niveaux, et arrive à ne pas oublier la foule des humains qui gravite autour de l’affaire.
De l’employé du journal qu’on envoie en mission chez les concurrents à la fille du directeur, on a toujours le sentiment qu’en poussant les portes, on pourrait trouver encore 20 acteurs derrière pour incarner d’autres personnages.
On croit à la vie de chacun, on peut imaginer qu’ils existent vraiment.
Cette façon de rendre un tout vivant nous aide à replonger dans l’affaire du moment: on est au milieu d’êtres humains qui se rendent compte qu’on leur a menti depuis plusieurs années.


Et on a aucun mal à comprendre leur désarroi, et encore moins à projeter éclairer notre actualité via le spot de cette histoire.
On se rappelle en quoi défendre une certaine idée de la liberté est primordial, combien il est important que des voix dissidentes continuent de s’exprimer, que des journalistes mènent de vraies enquêtes, qui prennent plus de temps qu’un copier/coller d’une dépêche AFP qu’ils reprendraient tous en coeur.


On ressort de Pentagon papers avec l’envie de potasser un peu cette période de l’histoire des USA, et aussi l’envie d’aller vivster une salle de presse aujourd’hui, de découvrir ce monde, de comprendre le circuit de l'information et la façon de la présenter.

iori
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le 8 févr. 2018

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