Jambes maigres, voix de môme, mèche rebelle, épaules larges et bras pendants, Aloysius C. Parker vit dans un squat avec une jeune femme brune qui vit en robe de chambre. Mais quand il ne lit pas Maldoror d'une voix désincarnée, il traîne son spleen dans les rues de New York. Pas trop le centre, plutôt les squats lépreux, les rues désertes où volètent des papiers gras, les terrains vagues, les friches de maison détruites.


Il va rendre visite à sa mère, qui perd la boule dans une maison de repos. Croise une femme hispanique dérangée qui chante des chansons. Joue au yoyo le long de murs en tôle ondulée. Va voir un obscur film sur les esquimaux avec Anthony Quinn, et écoute la blague d'un Noir siphonné sur l'effet Doppler. Croise John Lurie qui joue du free jazz. Vole une bagnole à une riche bourge. Au final, décide de partir pour l'Europe, et croise un Français qui vient de faire l'exact inverse. Le dernier plan montre Manhattan s'éloignant vu depuis l'arrière du bateau.


Le film a une touche très "cinéma indépendant", avec des séquences tournées sur des pellicules de qualité assez variable, et des effets maladroits de caméra portés qui semblent par moment délibérés. Les rares moments où l'on sent qu'Aloysius est en train de mûrir une décision sont noyés dans une musique étrange mêlant solo de saxophone free-jazz et des sortes de cloches chinoises (ou balinaises ?), ce qui va avec les références à Lautréamont et son goût pour l'hermétique.


C'est un manifeste pour la "bof génération" : Aloysius dit lui-même qu'il se lasse vite et ressent souvent le besoin de partir, de changer, pour rester un "perpétuel touriste". Il ne s'engage pas, même dans ce qui semble être un flirt. Il ne cherche pas d'autre rôle que celui du badaud, du spectateur du théâtre des rues de New York, et le fait avec un esprit ouvert, passif et assez narcissique. Le découpage et les cadrages sont fort réussis, mais l'écriture donne l'impression (encore fréquente dans les récents Jarmusch) d'un enchaînement de sketchs et d'une certaine vacuité. On n'atteint pas l'unité et la densité d'un Stranger than paradise. Les scènes de dialogue avec la copine au début font presque penser à la caricature de l'image que se fait le public lambda d'un film d'auteur, avec des pauses entre chaque réplique et des regards vaguement agacés et indéfinis.


Alors attention, ça a beaucoup de charme, comme beaucoup de projets de fin d'étude qui aboutissent. Mais c'est difficile à comparer aux oeuvres postérieures.

zardoz6704
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le 13 déc. 2015

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