Day-Lewis a de moins en moins été le réalisateur officieux des films où il joue. Avec Phantom Thread, il atteint le sommet et l'équilibre de son incroyable précision d'acteur (et seulement d'acteur). Il est à sa juste place, presque humble, ce qui en fait le film parfait pour signer la fin (temporaire ?) de sa carrière.


Absorbé sans être obsédé, il campe un grand couturier maniéré et maniaque qui tranche avec sa précédente collaboration avec Paul Thomas Anderson, There Will Be Blood, en ce qu'il y jouait un homme sans faiblesses, et aussi en ce que Phantom Thread pourrait être dépourvu de cahier des charges. Avec son ambiance qu'il est doublement juste de qualifier de « feutrée », c'est un film d'un calme assourdissant qui n'enferme le spectateur en rien, alors même qu'il se propose de dépeindre la fermeture d'esprit de son personnage principal. Il sait aussi traiter de la chosification de la femme sans en faire un crédo ni un obstacle.


Accompagné par la musique de Jonny Greenwood sur 90 de ses 130 minutes, il traite de bouleversements avec sérénité, nous faisant sentir parfaitement en sécurité, cosy. C'est une odyssée d'acceptation et de douceur qui nous fait traverser toute son histoire comme un rêve. Les quelques lenteurs sont vites oubliées, tout comme les rares raccords d'écriture un peu rapides qui pourraient nous dissuader de la maestria d'Anderson aussi bien en tant que scénariste qu'en tant que régisseur (et quasi-directeur photo, aussi, puisqu'il n'en avait pas). Heureusement, il n'était pas seul : j'ai un peu menti en disant que Day-Lewis n'était qu'acteur, vu qu'il a officieusement co-écrit le film.


Enfin, il fait graviter ses protagonistes avec élégance autour de leurs points forts. Lesley Manville, qui joue la sœur du grand homme, développe avec charisme et caractère ce qui fait une grande femme dans l'imaginaire collectif. La chaleur de Vicky Krieps, la muse, n'a d'égal que l'intelligence symbolique de ses manœuvres retorses. Œuvre au rythme unique, pas genrable sinon par sa vocation de mettre l'amour à l'honneur, Phantom Thread est une des grandes réussites discrètes des années 2010.


Quantième Art

EowynCwper
9
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le 10 août 2020

Critique lue 475 fois

Eowyn Cwper

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