Un ciel, quelques nuages et les crédits d'ouverture. Tati dépeint une société de consommation américaine proche de la notre. Mais c'est la nôtre, nous sommes à Paris et aucun bâtiment ne semble nous le rappeler. Le gris omniprésent concordent avec la morosité de notre quotidien et pourtant, les passants s'entre-croisent dans une parfaite chorégraphie. Aucun personnage ne conduit les deux heures du film, si ce n'est l'alter égo Mister Hulot, naïf exacerbé quasi muet, figure française du Charlie Chaplin. Nous sommes dans les Temps Modernes, non pas dans une usine, mais dans ville. La mécanique des comportements n'en est pas moins traité sous la forme de la satire et du burlesque. Sauf que aucun personnage ne semble hollywoodien, aucun romantisme, aucun lyrisme ? Bien au contraire. C'est au travers cet amas de bruit post synchronisé, ce déchaînement des corps et cette machine urbaine que s'accomplit la tendre ascension qui fait de cette œuvre pharaonique un classique d'humour et de poésie à la française. Un humour anglais à la limite de l'absurde. La farce américaine type slapstick. Mais surtout une bonne dose d’auto-dérision. Et c'est ce dont il est question. Rire de soi, de nos absurdités. Longs couloirs clinquants, bureaucratie kafkaïenne et vitres transparentes. Piège de la perspective, angles toujours pris dans des diagonales. Tati interroge les limites de l'individu, entre privé et public, le dehors, le dedans, en capturant l'essence même du temps. Celui d'une soirée d'un restaurant chic qui vient d'ouvrir, directement avant la fin des travaux. On y observe toutes les incongruités. Aucun personnage n'est délaissé, du groom au maître hôtelier, du vestiaire au premier commis de cuisine, du barman au chef de rang, du cuisinier à celle qui comptabilise les additions, même les musiciens (les hispano-américain qui ouvrent la soirée d'un musique douce et rythmé, puis les afro-américains qui terminent la soirée avec un jazz plus endiablé)... et tout cela avec la plus grande attention. Ne rien laisser au hasard, n'oublier personne. Le portrait du luxe conduit à la décadence. Et la succession n'est gag peu subtile fonctionne cependant, jusqu'à l'ennui certes. L'homme n'est qu'une marionnette, dirigé par l'étincelant, conduit par sa spontanéité, ordonné par les impératifs existentiels. Il y a toujours un supérieur au-dessus d'autrui. Un Napoléon en cuisine et les américains ont envahi la ville de Paris vu uniquement par le reflet des portes vitrés. Le rond point est un manège et chaque enseigne ou vitrine une attraction. Quelle esthétique peut-on trouver à ces étales de produit au bord du trottoir ? C'est davantage du côté de l'hommage qu'il faut apprécier cette œuvre ovni dans notre filmographie nationale. L'attention au son et la problématique de l'urbanisation dans Les Lumières de la ville de Chaplin, les élans des corps désarticulés et le regard lucide sur la société des cartoons de Tex Avery, sans mentionner le parallèle coloré avec Jacques Demy. Jacques Tati aime le burlesque du cinéma muet, le bruit que procure le silence, le sourire provoqué par ce bruit. Monsieur Hulot, inapte dans cette société à la limite du science-fictionnel ou société absurde inadéquate à la naïveté et l’ingénuité d'un homme qui subit l'américanisation du monde. Car oui nous sommes les touristes français dans cet univers vitré, parc des attractions urbain. Voyeurs, jouisseur et joueur. Play Time ? C'est tout sauf français je me trompe ?
Léon_Leblon
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le 18 août 2014

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Léon Leblon

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