Voir un film de William Friedkin c’est, comme tous ses personnages principaux, faire avant tout une expérience ; plongée brutal pour certains (Vukovich) ou pré et post-diégétique pour d’autres (Chance, Popeye Doyle/Gene Hackman dans French Connection). Le cinéaste n’a cessé de s’intéresser à des cas limites, où la vérité de l’Homme ne s’observe que dans des cas de tension extrême.
To live and die in L.A est un film tournant dans la carrière de Friedkin à la fois aboutissement formel et thématique de ses précédents mais aussi et surtout pur objet de fascination sans pareil. Le parti pris ultra-réaliste de ses premiers films se double ici d’une pure expérience de l’œil, le film est alors régit par la logique mentale de ses personnages principaux à la manière de la dernière partie de Sorcerer. Filmer Los Angeles et l’intégrer à son esthétique n’est pas chose aisée tant l’histoire de cette dernière telle que nous la représentons se confond avec celle du cinéma. A ce titre, l’esthétique 80’s du cinéma Américain et qui irriguera toutes les images télévisuelles de la décennie suivante, nait avec ce film et le Thief de Michael Mann. Le lien n’est ici pas fortuit entre les deux cinéastes de Chicago tant leur œuvre respective n’auront cessé de converser et de s’opposer. Les personnages de leurs films sont avant tout désigner par le dévouement à la tâche qui les caractérise ; chose que l’on a souvent vulgarisé par professionnalisme. A la fois manière d’être au monde et unique point d’ancrage avec celui-ci, quitte à perdre tout le reste ; le résultat est le même chez les deux cinéastes mais la manière diffère radicalement. Tandis que pour le réalisateur de Miami Vice, ce professionnalisme est à prendre au pied de la lettre, on dénote une incapacité profonde du personnage friedkinien à réussir, il est en cela un pur cinéaste Américain des 70’s. Moins l’expression d’une incapacité ontologique que le résultat d’un état de tension perpétuel pour le personnage qui influe inévitablement sur ses décisions.
You’re running everywhere but you’re going nowhere
En cela le traitement de l’action dans le film est double et inédite ; certes moyen pour le réalisateur de l’Exorciste de renouer avec la vaine classique du cinéma Hollywoodien qui tirait sa force principale de la représentation cinétique de cette dernière, moyen perpétuel de divertissement pour le spectateur ; elle est aussi ici complètement inféconde. L’enquête policière cale son pas sur les agissements des inspecteurs dont les sentiments affectent considérablement le jugement, le film s’apparente alors par moment davantage au revenge-movie qu’au film policier classique, suite de liens de causalité afin de dénouer l’affaire. Ici, les policiers s’endorment à un moment clé qui leur aurait permis de résoudre l’affaire ou ignore une piste bien plus intéressante que celle du faux-monnayeur Masters ; les exemples sont nombreux. Le personnage interprété par Willem Dafoe ne diffère pas tellement des policiers qui le traquent, par-delà même l’aspect moral. En effet, la poursuite d’une quête purement absurde lie traqueurs et traqué à ceci près que Masters a pleinement conscience du caractère vain de son existence. Sa réponse, logique, est une existence toute entière dévolue à la dépense (J-F Rauger, Un apprenti-sorcier à Hollywood) jusqu’à créer sa propre économie de faux-billets.
On peut comprendre alors ce que Friedkin reproche à une chase-scene telle celle de Bullitt dont la mécanique parfaitement huilée témoigne davantage du morceau de bravoure que de la scène nécessaire. L’étude du personnage, sans que cela pèse ou ralentisse le film, est au cœur du projet friedkinien et de ses longues scènes d'action étirés jusqu'à l'essouflement. Cet aspect de l’œuvre n’a pas été assez relever, peut-être due à sa représentation ludique, moyen de faire le jeu du genre tout en s’en dissociant.
La violence ne répond non plus à des liens de causalité classique et son existence semble presque se suffire à elle-même, la mort d’un personnage est littéralement choc à la manière des Flics ne dorment pas la nuit de Richard Fleischer. Paradoxalement, le choix est au cœur des films de Friedkin, on se souvient des personnages de Sorcerer qui bravent un destin qu’ils savent, par définition, immuable. Vivre et donc mourir à Los Angeles est un choix de cet ordre mais une force étrange, presque surnaturelle pousse le personnage à faire cette expérience des limites ; c’est Vukovich qui observe les flammes se répandre et prend alors conscience de cela, éternel-retour.