Polisse
7.2
Polisse

Film de Maïwenn (2011)

C’est un film en dents de scie, inégal, tout en énergies et tout en ratés. C’est-à-dire que le film ménage des instants intenses, puissants et rentre-dedans (l’accouchement d’une adolescente qui s’est faite violer, le volage dans les plumes entre Viard et Foïs, Kiberlain en larmes…), pour, la seconde d’après, (re)tomber dans la routine d’un récit qui ne tient pas la distance du flux tendu (et un flux tendu de deux heures, faut savoir le tenir ma cocotte, sinon on s’emmerde). Suivant à la semelle le quotidien de la brigade de protection des mineurs, Maïwenn et sa co-scénariste Emmanuelle Bercot croient bon de développer des intrigues parallèles pas spécialement intéressantes (divorce, anorexie, amorce d’une histoire d’amour…) qui nagent en eaux tièdes et parasitent la force de leur vision, supposée vériste, sur le travail difficile de ces femmes et de ces hommes faisant corps ensemble contre une adversité, une horreur à multiples visages, et qui, bizarrement, passent leur temps à gueuler et à se chamailler (au boulot comme dans le privé).

On passera sous silence plusieurs scènes trop appuyées, limite démago, tels ces enfants roumains se mettant à danser dans un bus sur du Breakbot (ils ont du goût dans la police) alors qu’ils viennent d’être arrachés à leurs parents, ou encore ce présumé coupable intouchable qu'on protège en haut lieu, ou encore cette mère et son petit garçon dont elle doit se séparer, et ce petit garçon de hurler et de pleurer longtemps devant la caméra pour on ne sait quelle raison, sinon celle de provoquer une émotion à tout prix, martelée jusqu’à l’os dans le crâne du spectateur (attends, je vais filmer la morve aussi, ça fait trop réaliste).

Et de réalisme, parlons-en : trop de réel tue le réel, ou trop d’impro tue l’impro, c’est comme on voudra, et Polisse donne davantage l’impression d’observer des acteurs prodiguer des cours d’improvisation plutôt que de jouer vraiment un personnage (Bercot et Elkaïm, par exemple, ne sont jamais justes), style "Bon là, on fait une soirée jeux, alors on y va, lâchez-vous et on voit ce que ça donne ; là, on va devoir se prendre la tête ; là, on va danser en boîte de nuit, tiens Joey, tu veux faire un pas de danse tout pourri pour faire genre ?", etc. On n’y croit pas toujours parce que ça sonne souvent creux, voulu, calculé (la discussion politique à la cantine, celle sur les hommes et leur bite au restaurant).

Faut dire aussi que chacun a hérité d’un rôle-poncif, d’un joli cliché éloigné du prétendu réalisme affiché par le film comme un étendard glorieux, hyper-vendeur : l’écorché vif, l’intello, la bobo qui mange des croissants bio, le chef cool, le super chef pas cool, la rebeu de service (et le black, il est où le black ?), la lesbienne alcoolique en cuir (et pourquoi pas un gay en talons aiguilles accroc au poppers ?) et le beauf qui a une photo de Johnny (ah beh non, ils n’ont pas de goût finalement) dédicacée sur son bureau et porte des maillots de foot (tu parles d’une grâce…). Le seul à littéralement crever l’écran, à ne pas en faire "trop", c’est Joeystarr, et parce que ce mec est déjà, a toujours été hors limites, dans l’excès.

On aurait presque envie que tous les autres dégagent pour que Polisse se concentre uniquement sur lui, son visage cassé, son histoire, son regard, ses gestes et sa présence (mais c'eut été un autre film). Du coup, le film se regarde à moitié emballé (tandis que l’autre rumine), et c’est vraiment dommage parce qu’on voudrait l’aimer en entier, Polisse, même pour ses bévues et même pour ses défauts. La fin, complètement ratée, maladroite (le montage parallèle est assez grossier), sensationnelle dans le mauvais sens du terme, vient clore le film comme si elle s’amusait à résumer celui-ci en deux minutes et en deux mots : exagéré et bancal. On a dit que Polisse secouait les tripes ; disons plus simplement qu’il provoque une bonne aérophagie propre à ravir les amateurs d’expériences molles.
mymp
4
Écrit par

Créée

le 30 nov. 2012

Critique lue 524 fois

2 j'aime

1 commentaire

mymp

Écrit par

Critique lue 524 fois

2
1

D'autres avis sur Polisse

Polisse
Chaiev
3

Le bal des pompiers

Maïwenn a mis la chanson de l'Ile aux Enfants sur son générique de début ("voici venu le temps des rires et des chants", vue la suite, je crois que ça signifie que le monde de l'enfance n'est pas si...

le 22 oct. 2011

136 j'aime

52

Polisse
reno
5

Critique de Polisse par reno

Dès l'ouverture de Polisse nous voilà prévenus : on jure de nous dire la vérité, celle naturellement qui sort de la bouche des enfants. Et c'est là la grande confusion qu'instaure le film. Ce que...

Par

le 31 oct. 2011

117 j'aime

12

Polisse
Gand-Alf
8

Délivrez-nous du mal.

Laissant de côté l'univers personnel et un peu trop douillet de ses précédents essais, la comédienne / cinéaste Maïwenn prend un peu plus de risques en s'attaquant à un sujet extrêmement délicat,...

le 20 janv. 2014

72 j'aime

1

Du même critique

Gravity
mymp
4

En quête d'(h)auteur

Un jour c’est promis, j’arrêterai de me faire avoir par ces films ultra attendus qui vous promettent du rêve pour finalement vous ramener plus bas que terre. Il ne s’agit pas ici de nier ou de...

Par

le 19 oct. 2013

180 j'aime

43

Killers of the Flower Moon
mymp
4

Osage, ô désespoir

Un livre d’abord. Un best-seller même. Celui de David Grann (La note américaine) qui, au fil de plus de 400 pages, revient sur les assassinats de masse perpétrés contre les Indiens Osages au début...

Par

le 23 oct. 2023

168 j'aime

14

Seul sur Mars
mymp
5

Mars arnacks!

En fait, tu croyais Matt Damon perdu sur une planète inconnue au milieu d’un trou noir (Interstellar) avec Sandra Bullock qui hyperventile et lui chante des berceuses, la conne. Mais non, t’as tout...

Par

le 11 oct. 2015

161 j'aime

25