Filmer par nécessité. Pour témoigner, parce que c’est le seul sens à donner à sa vie. Filmer, non pas pour le désir narcissique de se mettre en scène, ou pour satisfaire notre pulsion scopique de mort, mais pour montrer au monde cette pulsation de vie germant au cœur de l’horreur moderne.
C’est ce qui a poussé la journaliste Waad Al-Kateab à tenir sa caméra et à enregistrer ces images qui vont nous être dévoilées : la révolte des étudiants universitaires, dont elle fait partie, en avril 2012, les mouvements de foule qui s'ensuivent dans la rue, puis le siège d’Alep, les bombes larguées par l’aviation russe, les explosions, les morts. Ces images sont le témoignage de la force de feu qui s’est abattue sur la population syrienne réfugiée dans la ville, espérant le départ de Bachar el-Assad, et forcée à l’exil par les Russes.
Filmer pour Sama. C’est la grande force du film, c’est d’elle que vient le courage de sa mère de rester à Alep et de résister. Sama, c’est la fille qu’elle a eue avec le docteur Hamza Al-Khateab, responsable d’un hôpital clandestin, en contact avec les médias internationaux pour lui aussi, témoigner. Nous la verrons grandir d’image en image, Sama, vivre le conflit au cœur des soins intensifs, dans ces salles d’opération où les enfants morts semblent dormir. Elle sourit, mais ne rit quasiment jamais, comme si elle avait déjà assimilé la réalité qui était la leur.
Filmer, enfin, pour tous les enfants. Waad Al-Kateab et Edward Watts ont sélectionné les rushes pour ne pas se focaliser sur la vie qui s’en va dans les couloirs d’hôpitaux baignés de sang, sur ces enfants couverts de poussière après une explosion, venant apporter la dépouille de leur frère, sur ces mères gémissant de souffrance.
La réalisatrice filme la vie qui redémarre, le premier cri d’un bébé venant d’accoucher en urgence et qu’on pensait sans vie, les yeux étincelants d'enfants et leurs rêves d’un ailleurs, l'apprentissage de l'anglais dans une école de fortune, le combat permanent d’une famille d’amis pour que leurs trois gosses vivent des moments propres à l’enfance malgré la guerre, comme cet instant de détente après un bombardement où des gamins sont autorisés à repeindre un bus calciné, à jouer au "chauffeur de bus".
Waad Al-Kateab filme les sourires, les rires, les chansons, la respiration de Sama s’approchant de la caméra, cette petite plante sauvée de son jardin, les bisous, à sa fille, à son amoureux ou ceux terribles de gamins pour dire au revoir à un frère mort. Derrière ce récit déstructuré de la guerre syrienne, aller-retour constant dans le temps un brin confus à suivre, se dessine un hymne à la vie, à l’enfance en devenir, aux bébés à naître, à tou.te.s ces jeunes syrien.ne.s qui rêvent de devenir architectes pour reconstruire Alep.