Douze vaisseaux extra-terrestres se matérialisent à différents endroits du globe. Sur le site américain, dans le Montana rural, l’armée dépêche une linguiste, Louise Banks (Amy Adams) et un spécialiste de physique théorique, Ian Donnelly (Jeremy Renner) avec pour mission, sous la supervision du Colonel Weber (Forest Whitaker) et d’un agent de la CIA Halpern (Michael Stuhlbarg), d’établir un contact avec les visiteurs et de découvrir ce qui motive leur venue avant que l’humanité ne bascule dans une guerre globale. L’argument du film, adapté d’une nouvelle de Ted Chiang par Eric Heisserer (Dans le noir, Destination Finale 5 ), pourrait être celui d’un roman de Michael Crichton, l’aspect calme et grandiose des cadres, le grain de l’image (et il faut le dire certains éléments de structure du film) peuvent évoquer Christopher Nolan tandis que la géométrie des cadres, l’ambiance sonore et l’aspect monolithique des vaisseaux font penser à Stanley Kubrick. Pourtant ces références, si elles ont jamais été celles de Denis Villeneuve, s’estompent dès les premières minutes qui vous cueillent immédiatement et présagent la vraie nature du film, cachée au cœur d’un récit de science-fiction cérébrale. Premier Contact est une œuvre singulière qui porte définitivement la vision de son auteur. Denis Villeneuve n’avait jamais trouvé selon l’auteur de ces lignes, le scénario pouvant servir de vecteur à ses thématiques (la communication en particulier) et compatible avec son style et ses intentions. Ainsi son approche désactivait l’efficacité du thriller dans Prisoners ou au contraire avec Sicario la trame de « direct to video » du script était trop légère pour justifier son traitement grandiose. Ici le fond rejoint la forme pour offrir une œuvre vraiment unique.


Pour décrire l’indicible que constitue la rencontre avec une autre forme de vie intelligente, Villeneuve emprunte la voie de Spielberg ou Shyamalan : un aspect factuel qui ancre les événements dans la réalité, un rythme lent qui attire le spectateur lentement et inexorablement. Mais là ou Signs et Rencontres du troisième type se reposaient sur des représentations familières des extra-terrestres, le réalisateur canadien , son directeur de la photographie Bradford Young (A Most Violent Year, bientôt le spin-of de Star Wars consacré à Han Solo) et le compositeur Jóhann Jóhannsson leur confèrent un aspect inquiétant et majestueux (qui permet à Denis Villeneuve de donner une version a peine plus soft de son plan final d’Enemy) et une présence via les sons qu’ils émettent (proches du chant des baleines) totalement « étrangère ». On aura jamais à l’écran représenté de façon si crédible l’étrangeté et le vertige existentiel que pourrait provoquer une telle expérience.


Même si Premier Contact brasse de grands concepts scientifiques et philosophiques, Villeneuve en fait avant tout une expérience intime et si le tumulte du Monde nous parvient à travers les échos anxiogènes des chaînes d’information continue (ne pas évoquer le mot arme à un général chinois) il minimise cet aspect pour rester du point de vue de Louise dans ses efforts pour percer la structure complexe du langage écrit des visiteurs (Villeneuve et Heisserer ont créé un langage visuel pleinement fonctionnel pour leurs aliens avec une bible de logogrammes dont soixante-et-un sont utilisés dans le film). Quand le spectateur comme son personnage déchiffre enfin la structure narrative du film qui fait écho à celle non linéaire de leur calligraphie, on est frappé au cœur par la puissance émotionnelle du film et de son message d’unité et de résilience. Ces moments culminants du troisième acte prouvent la force de la science-fiction qui récompense le spectateur et défie ses attentes.


Pour un film basé sur la communication Premier Contact est étonnamment avare en dialogues, Villeneuve raconte une bonne partie de son histoire visuellement ou au travers des sonorités de la partition immersive de Jóhannsson . Sans recourir à de longues explications scientifiques il rend accessible des théories parfaitement abstraites comme celles de la relativité linguistique (qui énonce que la façon dont on perçoit le monde dépend du langage qu’on emploie) ou des théories quantiques relativistes qui montrent que s’affranchir de l’espace c’est aussi s’affranchir du temps. Mieux il nous les fait ressentir grâce à un instrument exceptionnel : son actrice principale, Amy Adams. Adams dont le pale visage se fait le reflet d’émotions contradictoires transformant la douceur et le calme en qualités héroïques. Mélange de courage et de grâce, bouleversante devant le poids des décisions que son personnage est amené à prendre elle est tout simplement fantastique. Si la conclusion du film vous laisse insensible, vous êtes sans doute beaucoup plus endurci que nous. Elle est secondée par un Jeremy Renner impeccable de sobriété et de chaleur humaine.
Conclusion : Expérience de S.F cérébrale, sensorielle et émotionnelle d’une puissance inégalée cette année, ambitieux dans sa conception et extraordinaire dans son exécution, Premier Contact est un film que l’on aime partager mais qu’on garde avec soi. Un grand film.

PatriceSteibel
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le 22 nov. 2016

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