Quand Prisoners a été montré au festival de Toronto et à la presse US (puis au public par la suite), les critiques ont crié au génie, utilisant tout un tas d’adjectifs dithyrambiques notamment pour Hugh Jackman et le film en général et on a pu lire et entendre beaucoup de choses. Il faut dire que Denis Villeneuve, réalisateur et scénariste (pas sur celui-ci) québécois n’en est pas à son premier coup puisque ses précédents films ont également été acclamés, notamment Incendies que le Times considère comme un des 10 meilleurs films de 2011. Rien que ça. Qu’en est-il de Prisoners, d’autant que le sujet principal du film a été éculé de nombreuses fois et souvent avec brio (Lovely Bones notamment, ou encore Mystic River) ? Quand on sait que le scénario a été écrit par le responsable de Contrebande, on a été pris d’un doute.

Et en effet, force est de constater que le véritable (et seul ?) défaut du film ne vient pas de sa mise en scène mais de son scénario. Drame, vigilante, on aurait pu presque se retrouver devant le film de Clint Eastwood. Voyez-vous même : lors d’un repas entre voisin, deux petites filles disparaissent, visiblement kidnappées. Keller Dover (Jackman) décide donc de faire justice en emprisonnant et torturant le principal suspect, relâché faute de preuves, jusqu’à ce qu’il avoue où sont cachés les filles. Pendant 2h30 nous allons d’un côté suivre l’interrogatoire musclé de ce père déchiré, mais aussi l’enquête du policier sur l’enlèvement. Vous avez dit déjà vu ? Car oui, on s’attend à à peu près tout le déroulé du film et les surprises ne nous étonnent pas une seconde, tant tout est cousu de fil blanc. Le scénario n’hésite pas à tomber parfois dans le cliché, notamment avec le personnage de Hugh Jackman, menuisier, ancien alcoolique, très religieux et de Jake Gyllenhaal, un flic un peu psycho, bourré d’intuitions, n’ayant qu’une seule idée en tête : faire son job jusqu’au bout, coûte que coûte. Éculé donc, les thèmes abordés le sont également, quand bien même ils peuvent nous toucher à chaque fois. Et le film aurait probablement pu être très mauvais s’il avait été réalisé par un yes-man quelconque.

Mais Denis Villeneuve montre encore une fois qu’il est loin d’être un manche tant Prisoners est un petit bijou de mise en scène. Le réalisateur a dans un premier temps réussi à mettre en place, et ça se voit dès les premières images, une ambiance très glauque et très poisseuse qui n’est pas sans rappeler le cadre de Winter’s Bone, filmant avec brio son Amérique profonde. On assiste à la même chose ici, notamment par un traitement de l’image et une photo parfaite.
Grâce à sa réalisation, on entre dans l’intimité des personnages nous permettant ainsi de s’identifier un peu à chacun. Mais surtout, il dépeint avec ça une vision très sombre de la famille américaine semblant au premier abord parfaite. L’enlèvement a d’ailleurs lieu le jour de Thanksgiving, l’image est très forte pour n’importe quel américain. Sale, sombre, le film n’est pas là pour plaire et le metteur en scène l’a bien compris car il va régulièrement mettre le spectateur dans un sentiment d’intense malaise face à la situation et face au personnage principal qui nous attire autant de empathie que d’antipathie et nous demande constamment ce que nous aurions fait à sa place. Les scènes de tortures sont très dures mais le comportement du père peut être compréhensible. Sentiment identifié dans le personnage quasi inexistant de Terrence Howard qui regarde avec compassion mais ne participe en aucun cas à la chose.
Mais surtout, le film va en crescendo pour un final à couper le souffle tant il y a une pression hallucinante durant les 15 dernières minutes.

Denis Villeneuve offre à Hugh Jackman (difficilement reconnaissable sous un tas de fringues larges pour cacher sa musculature imposante) et Jake Gyllenhaal l’une de leurs meilleurs prestations. Les deux acteurs sont aussi glauques dans leur genre (le père un peu fou et le policier plongé dans son travail) que le film et se donnent à fond dans un face à face titanesque.
En somme, Prisoners n’est pas le chef d’œuvre annoncé car il pêche surtout sur son scénario. Mais les acteurs, la mise en scène et l’ambiance en font un film coup de poing qui risque bien de vous en coller une petite (mais une quand même) à la sortie du cinéma.
AlexLoos
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le 7 oct. 2013

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AlexLoos

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