Beaucoup de films font parler d'eux en ce moment et c'est notamment le cas de Prisoners, le premier film états-unien du québécois Denis Villeneuve, connu pour Incendies et Polytechnique. Sur le papier, c'est l'occasion de voir un thriller s'annonçant haletant avec un casting plutôt alléchant et le grand Roger Deakins à la photo. Tous les ingrédients étant réunis pour du lourd, les avis presse et spectateurs sont enthousiastes mais Prisoners est-il un film aussi génial que ça?



D'emblée, je dirais que Prisoners est un film abouti artistiquement. L'introduction mettant en place la disparition des fillettes dure assez longtemps pour instaurer un climat plutôt angoissant. L'ambiance du film est particulièrement réussie, et ce grâce à un visuel de grande beauté. Entre la mise en scène impeccable de Villeneuve et la sublime photographie de Deakins, Prisoners est un régal rétinien. Non seulement c'est beau mais ça met en valeur ces décors froids, perdus dans un grisâtre et morose climat automnal. L'atmosphère du film devient plus tendue, plus sombre, et si quelques tics de réalisation surgissent de temps à autre (du style le délire du gros plan inutile sur un arbre), l'ensemble reste un modèle de mise en scène.

Pendant 2 heures, Prisoners jouera avec nos nerfs (et surtout ceux des personnages) avec finesse et intelligence. Le flou autour de la disparition des fillettes et le temps qui est compté pour avoir une chance de les retrouver en vie contribuent au suspense haletant du film, alignant subtilement mystères et fausses pistes. Si le scénario n'est pas ce qu'il y a de plus novateur, force est de constater que sa maîtrise (du moins dans les 2 premières heures) fait plaisir à voir. D'autant plus que ce scénario est sublimé par une réalisation intelligente. Et ça, dans le paysage cinématographique actuel, ce n'est pas forcément anodin (coucou Taken).

Prisoners pose aussi plusieurs questionnements moraux, sur le fait de faire justice soi-même, sur le fait de voir jusqu'où l'homme peut aller quand on touche à son entourage (c'était le cas de Mad Max par exemple). Et j'aime cette thématique, j'aime voir des mecs ordinaires frôler la démence pour tenter de résoudre la situation. Le film évite ainsi le manichéisme primaire pour nous livrer une partie de chasse à l'homme haletante.
Le personnage de Jackman est intéressant dans la mesure où il oubliera tous les principes moraux pour arriver à ses fins et sauver les deux petites filles. L'ennui c'est l'interprète. Jackman nous sort toute la panoplie de l'Actors studio, il beugle à tout bout de champ, il fronce les sourcils pour montrer qu'il n'est pas content. Une prestation quand même correcte dans l'ensemble mais il en fait des caisses et c'est dommage.

En revanche Gyllenhaal est beaucoup plus convaincant, plus équilibré dans son jeu d'acteur. Son personnage est intrigant lui aussi, un enquêteur semblant toujours à la limite de dépasser les règles imposées par sa fonction. Le reste du casting est anecdotique. Hormis Paul Dano, rien de bien à signaler. Même Maria Bello peine à convaincre en mère éplorée (il faut dire que voir sa performance après celles des actrices de la Vie d'Adèle ça pique un peu).



Si je précisais avant que le scénario était maîtrisé et haletant pendant 2 heures, c'était pour rajouter que malheureusement il y a quand même une demi-heure derrière. Et diable que cette dernière demi-heure est convenue... Comme si Villeneuve prenait le soin de détruire tout ce qui faisait la force et la crédibilité de son scénario. La fin n'est pas vraiment mauvaise, elle est malheureusement terriblement maladroite.

Sans vouloir trop spoiler (au pire vous pour ceux n'ayant pas vu le film, ne lisez pas ce paragraphe), le coup du personnage secondaire lambda qui s'avère être le grand méchant depuis le début, pitié quoi. Une énième fois on se retape un Machiavel du pauvre qui expose tout le mal qu'il a fait (ô Marie, si tu savais...) et qui t'explique comment il a fait et pourquoi. Le cliché par excellence quoi. D'autant plus que la réaction de cette personne quand la police débarque est ridicule et incohérente, préférant achever le travail sans opposer de résistance plutôt que de vouloir sauver sa peau.

Si le film était plutôt fin jusque là, dommage que les dernières minutes soient si convenues et grossières. Toutefois j'aime le plan final de filou, ouvert sans l'être et qui évite le happy-end bien gras. Une manière de conclure le film de la meilleure manière qui soit après un dénouement assez décevant.

Mais dans l'ensemble ne boudons pas notre plaisir. Prisoners reste un bon film, un thriller de qualité. Si il ne transcende pas le genre, il m'a quand même plu par son ambiance intéressante et une histoire quand même bien prenante et globalement bien foutue (hormis vers la fin, vous l'aurez compris). Ça n'atteint pas les pépites que sont Memories of Murder et The Chaser, aux scénarios plus poussés et aux personnages mieux développés, mais le film contient ses grands moments et se glisse pour ma part parmi ce qui s'est fait de mieux en matière de thriller depuis l'an 2000.
Moorhuhn
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le 30 oct. 2013

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