Project X ou le portrait involontaire d'une société à la dérive

Project X est à la base un teen movie présenté comme une comédie par ses créateurs. Toutefois, et bien malgré lui —j'insiste—, ce film se révèle être bien autre chose… Comme je l'ai fait, basculez ce film de la catégorie "Comédie" à la catégorie "Drame" et vous vous apercevrez qu'il prend d'un coup une dimension inédite, celle d'un sévère brulot à l'encontre de la société occidentale actuelle et en particulier de sa jeunesse. S'il avait été pensé dès le départ comme tel, il aurait pu, pour exactement le même contenu, obtenir un 8/10... Mais tel qu'il a été conçu et dans sa catégorie initiale, il ne mérite qu'un 1/10 (faute de ne pouvoir mettre moins).


Un premier niveau de lecture affligeant

Certes, malgré mon introduction, il faut bien traiter un instant le film tel qu'il a été pensé, à savoir une comédie pour ados boutonneux dotés d'une bite ou d'une chatte (c'est selon) à la place de ce qui devrait leur servir de cerveau. J'ai eu 15 ans, comme tout le monde, et pire j'appartiens à cette Génération Y à qui s'adresse ce film ; et je ne crache pas sur la Génération Y, je suis un adulescent et un geek sur les bords: je l'assume et le revendique! Mais la Génération Y est aussi lourdement handicapée par des traits comportementaux d'une médiocrité sans nom dans laquelle je ne peux accepter de me reconnaître. Tout ça pour dire que j'ai eu 15 ans et que lorsque j'avais 15 ans, je n'aurais jamais esquissé le moindre sourire devant cet humour supposé m'être destiné. Pendant les 15-20 premières minutes du film, il ne se passe pas trois dialogues sans que "fucking" ou "dick" (ou un des ses équivalents) ne soient employés dans des conversations qui ne tournent qu'autour —strictement— de toutes les médiocres puérilités situées (ou propre comme au figuré) en dessous de la ceinture (quoique non, vu que parfois les conversations traitent des poitrines de ces dames, j'exagère donc en parlant du dessous de la ceinture…). Qu'on ne se méprenne pas: parler de cul de façon crue n'est pas un mal, en parler comme un ado standard de 15 ans —comprenez faire d'un "concours de celui qui a la plus grosse" une question existentielle avec un niveau de problématiques collatérales proches du pipi-caca— est d'un ridicule et d'une absurdité pitoyables. Le film se poursuit ensuite sur la quête "popularité = grosse fête de kékos plus ou moins friqués pour certains + baiser des filles bandantes qui se foutent à poil en 2 secondes + alcool + drogues"… La ""culture"" du "plus t'es un connard déchiré (et pourtant, là non plus j'ai rien contre l'alcool), plus t'es cool" en somme… Enfin, ajoutez que le film est tourné en fausse caméra amateur et vous avez le parfait film pour connards (ça fait beaucoup de "connard" en trois lignes, mais ça fait du bien!) à qui toute personne dotée d'un cerveau à peu près normalement constitué a envie de coller une tarte en pleine gueule suivie d'un "va apprendre la vraie vie pauvre connard (un de plus, fiiooouu!) débile". Bref une succession de blagues minables et pitoyables, des situations toutes plus navrantes —et hélas bien réelles pour la plupart— les unes que les autres et évidemment un sens des valeurs, du respect et des responsabilités chatouillant le zéro absolu. Un film du niveau d'une téléréalité américaine ou française… En résumé, pris sur le niveau de lecture pour lequel il a été conçu originellement, ce film, qui n'en serait pas un pour le coup, mérite un zéro absolu, c'est une daube infâme!

Un second niveau de lecture instructif

Transition toute faite puisque ce film, selon moi, peut se regarder, au même titre qu'une téléréalité, selon un angle bien plus critique. Bien entendu pour cela, je le répète, il faut commencer par changer le film de genre. Certains, et je les comprends, pourront m'accuser de donner de facto une considération bien excessive et au film et à ses auteurs, considération qu'ils ne méritent aucunement puisqu'ils étaient à des années-lumière de penser le film ainsi (de penser tout court argueront certains avec cynisme et raison …). Après 20 minutes de visionnage du film, alors que j'étais à deux doigts —chose qui ne m'est jamais arrivée— d'arracher le DVD du lecteur pour l'envoyer brutalement s'écraser au fond d'une poubelle (vous me direz, mais pourquoi a-t-il eu ce DVD en premier lieu ; ce à quoi je répondrais: "longue histoire"…), j'ai été pris de curiosité, la même curiosité qu'on a devant un documentaire animalier, scientifique ou de société, en particulier ces documentaires sans voix off, en totale immersion. Et clairement, ce film tient des trois! Certes, au final, le film ne m'a guère appris grand-chose de plus que ce que je savais déjà, mais il a néanmoins pris cette autre dimension: celle d'un drame de société, notre société. Il en est un pour ce qu'il dépeint mais aussi par son existence même, précisément telle qu'elle a été pensée à la base, à savoir un film débile, fait par des débiles et pour des débiles.

Le documentaire animalier
Le film peut être perçu comme un safari, une plongée au cœur d'une espèce étrange: les adolescents moyens de la Génération Y. Certes, l'Homme est un animal mais il est amusant —d'un amusement sidéré et désespéré— de voir ces adolescents ne plus être des animaux civilisés et dotés de raison mais régresser spectaculairement vers une état de nature et de primitivité ne correspondant, je crois, à rien d'existant dans le reste du règne animal. Tous les comportements sont bêtes, irréfléchis, en dépit de toute logique et/ou de tout but véritable. Les rapports entre les individus de cette espèce sont brutaux, anarchiques, excessifs. Une vache ruminant son herbe le long d'une route ou une mouche tournoyant autour d'une déjection semblent toutes deux répondre à un schéma existentiel tellement plus cohérant et pertinent que ces adolescents pour lesquels dire qu'ils ont la réflexion et les préoccupations d'une huître serait faire outrancière injure à celle-ci… Fascinant.

Le documentaire scientifique
Le film peut aussi se concevoir comme une sorte de laboratoire d'expérimentation prolongeant l'étude abordée dans le documentaire animalier. À la manière d'une souris à qui on ferait des tests dans son vivarium, prenez 2000 ados, une maison parentale avec jardin et piscine en guise de vivarium, ajoutez du bruit assourdissant —ils appellent ça de la musique— et donnez leur de la nourriture —ils appellent ça de l'alcool et de l'extasie— et observez… Quelques heures plus tard, le vivarium est saccagé, tout est sale, cassé, brulé, certains spécimens sont malades, d'autres blessés, certains ont copulés sans le savoir, d'autres se sont fâchés et j'en passe… Bref, là où objectivement et scientifiquement on a envie de parler de désastre, de catastrophe, de comportement en dehors de toute logique animale et vitale, eux parlent de la fête du siècle… Allez comprendre… Question de valeurs faut croire….

Le documentaire de société
Car oui le maître mot du film —et de la population qu'il dépeint— c'est bien une absence de valeurs, de considération, de soi, des autres, des règles de vie en société les plus élémentaires. Tout se résume —et c'est extraordinaire que les auteurs aient réussi cela malgré eux— dans un dialogue entre le fils et le père à la fin du film ; tous deux sont dans le jardin, au milieu des débris d'une maison à moitié brûlée et d'un capharnaüm indescriptible, face à la piscine dont une grue est en train d'extraire la Mercedes qui y a fait "plouf" durant la fête. Et le père, calme, entre deux remontrances au poids curieusement inversement proportionnel à la situation, glisse à son fils:
— Je ne pensais pas que tu en serais capable.
— Oui je sais Papa, je suis désolé…
— Non, littéralement, je ne pensais pas que tu pourrais le faire… (limite avec une certaine fierté, comme si son fils avait réussi à accomplir quelque chose dans sa vie)… Donc, il y avait combien de gens?
— 1500, 2000 personnes peut-être…
— Woaw! (avec contentement)
— Tu aurais dû voir ça… C'était génial!
Et les remontrances reprennent… Que dire… C'est un dialogue tellement surréaliste que seule une grande et absolue sidération emplie de colère enfouie peut retranscrire le sentiment. Quel est celui des deux qu'on a le plus envie de fracasser? Le fils sans valeurs et sans respect en dehors de son petit égo seulement préoccupé par être populaire parmi les crétins? Ou bien le père qui a si bien éduqué son enfant qu'il est comme il est et qui là fait preuve d'une prouesse éducative étonnante consistant, pour le même fait, à engueuler et féliciter son fils en l'espace de quelques phrases…? Ce dialogue a le mérite de pointer précisément les problèmes fondamentaux de la Génération Y. Une génération de pseudos épicuriens nombrilistes dénués de toutes valeurs fondamentales (à commencer par le respect et le sens des responsabilités), ayant été "éduqués" (si on peut dire) par des soixante-huitards embourgeoisés —ou pas d'ailleurs— (et/ou leur progéniture ayant déjà subi une vague d'éducation ratée et la reproduisant à son tour) n'ayant retenu des mouvements de contre-culture de la fin des années 60 que le principe débile selon lequel "il est interdit d'interdire" (je prends quelques raccourcis, mais on pourrait en écrire des centaines de pages). Attention, loin de moi l'idée de tenir des propos réactionnaires ; mais force est de constater que des mouvements de contre-culture, que ce soit aux États-Unis ou en Europe, seules les choses les plus stupides (remise en cause totale, excessive et sans nuance des valeurs morales antérieures) ont été conservées (en revanche, l'humanisme, le progrès social, la lutte contre l'individualisme, contre la société de consommation ou contre une standardisation de la société et des cultures, tout ça, peanuts!). J'ai pointé ce dialogue, mais fondamentalement, tout ce que le film montre est la résultante de ça… Comme cette autre scène: alors qu'au cours de la soirée beuverie à outrance, le perso principal, en l'espace d'une heure sort avec sa meilleure amie avant de commencer à coucher avec une allumeuse de service (ils sont interrompus par… la meilleure amie/petite amie), quelques jours après, le mec a le culot de retourner voir son "ex-meilleure/petite amie" pour lui dire "allez s'teu'plé, reprends-moi, je suis dans la merde et franchement, mais franchement hein, l'aut' meuf, bah heu, c'est la faute à l'alcool et à la drogue! Tu m'en veux pas, hein, j'étais défoncé, j'aurais pas fait ça sinon" et la nana, convaincue par cette explication d'une force et d'une pertinence, pfffff, indescriptiblement nulle et minable, lui saute au coup et lui roule un patin… Je sais pas moi, déjà, être bourré n'est une excuse pour rien du tout et ensuite, putain, mais faut choisir mon gars, soit tu as une petite-amie soit tu as des plans culs, mais pas les deux, du moins pas sans l'accord de ta nana attitrée!... Quant à la nana... Si je comprends bien, t'es une bonne poire et un kleenex... Consentante dans les deux cas... No comment.


Morale de l'histoire: pour bien s'amuser dans la vie et être cool, sois con, bourre-toi la gueule (pas une fois à l'occase, noooonnn, le plus possible), ne pense qu'à toi et avec ta bite, casse tout, méprise tout et tout le monde… Le plus triste c'est que ce n'est pas qu'un film, c'est le quotidien (ou presque) de millions de jeunes dans nos pays supposés riches et civilisés… Bien des gens qui se sont marrés en voyant ce film l'ont fait soit en se reconnaissant, soit en percevant dans ce portrait un idéal de l'amusement, du plaisir et des relations sociales, idéal qu'ils cherchent à atteindre à différents niveaux. C'est pathétique et désolant.

Ce film est à l'image d'une société malade et en manque de repères: l'individualisme (succès, popularité, égo), la connerie et l'excès sont érigés en vertus absolues au détriment, simplement —pas besoin d'aller taper dans les valeurs catho-prout-prout de nos arrières-arrières-grand-parents— du respect et du bon sens. Et c'est entant que photo pertinente (parce qu'il en dit bien plus qu'il n'y paraît à divers niveaux de lecture et d'approche, c'est ce que j'ai essayé de démontrer) d'une partie de notre société que je le classe personnellement dans "Drame" et que je lui attribue une note élevée pour cette catégorie.
Angelus
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le 24 sept. 2014

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