Avec « Quand j’étais chanteur », Xavier Giannoli signe le meilleur film français de la rentrée, voir de 2006 à ce jour. Il était pourtant facile avec un tel sujet de se planter. La rencontre entre un vieux chanteur de seconde zone (commerciale ?) et d’une jeune femme en pleine reconstruction, pouvait prêter à sourire. Mais Giannoli transcende ce côté ringard du récit, qui n’est qu’une toile d fond, pour mieux appréhender le côté introspectif de ces deux personnages forts et touchants.

Sa caméra, même si elle affiche un voyeurisme avec des plans toujours en pose dans le décor, basés sur l’alternance de champs et de contre champs lourds de sens, affleure la pudeur et une complaisance bienveillante envers ce couple, empreinte de subtilité. Il ne se contente pas de nous faire aimer Marion et Alain, il les replace dans un milieu qui prend vie sous nos yeux, filmé avec beaucoup de maestria. La scène de la rencontre du début est sublime dans ce sens, ponctuée de clins d’œil à cet univers si particulier où l’espoir rivalise avec les désillusions, à l’image de ces deux êtres largués, si différents et pourtant si proches.

La théâtralisation de leur relation est unique. Elle est ponctuée par une bande originale très bien ciblée. Les roucoules de Depardieu (ces chansons sentimentales qui permettent d’exprimer ce que l’on ose plus dire ou ce à quoi l’on ne croit plus) représentent la vie côté scène, celle où tout semble possible. Elles s’opposent à la partition dramatique d’Alexandre Desplat qui s’inscrit dans les scènes plus intimistes où l’espoir s’épuise et la dure réalité de l’existence reprend le dessus.

Quand j’étais chanteur, c’est tout cela… Il y a bien longtemps que l’on nous avait offert une histoire d’amour aussi déchirée, sensible, traumatisante. Par la force qui s’en dégage, on pense à « Hôtel des Amériques » de Téchiné, à du Truffaut avec sa pudeur à filmer le couple, à du Sautet dans la mise en lumière d’un quotidien réaliste et vivant. Le flambeau est passé et Giannoli devient d’un coup leur héritier spirituel. Un grand réalisateur est né !

De même, cette transition est soulignée par le choix des acteurs. Une génération les sépare. Depardieu que l’on n’avait pas vu aussi gigantesque depuis les années 80 et dont les mots manquent pour parler de sa prestation, tant il est sincère, juste et sobre jusqu’au moindre des traits de son visage marqué par l’épuisement. Face à lui Cécile de France, qui ne cesse de nous étonner, et qui donne, avec ce rôle, une dimension extraordinaire à sa carrière. On la savait charmante et pétillante, elle ajoute à sa palette la maturité et la profondeur. Elle est racée, belle, unique, elle devient une actrice incontournable et indispensable.

On pouvait penser que pour le cinéma français « y’avait longtemps que tout était fini » mais avec des réalisateurs comme Giannoli, Audiard, Jeunet, Beauvois, on peut se dire qu’ils font "des choses qu’on aime, et ça distrait nos vies".
Fritz_Langueur
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le 11 sept. 2014

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