C'est intéressant cette fascination des réalisateurs pour l'univers de la boxe, pour les boxeurs, pour ces parcours atypiques. Cette capacité des réalisateurs à nous intéresser à cet univers coincide avec un univers fait de difficultés, de sueur, de misère, de pauvreté, de violence. Cela correspond souvent à une population venant d'en bas, grimpant les échelons, avant de retoucher (souvent) le fond.

Il y a quelques jours, je lisais "Corps et âme" du sociologue Loïc Wacquant. Dans ce livre, celui-ci fait de l'ethnopraxie dans un club de boxe de Chicago, dans un quartier pauvre. Il observe le "gym", les boxeurs, leur entraîneur, les tournois, tout en s'entraînant lui-même, tout en se préparant à boxer. Dans ce livre, je retiens le propos d'un de ses enquêtés, celui-ci indiquant: "si tu veux savoir qui sont les individus en bas de l'échelle, regarde qui boxent". Car oui, la boxe est un univers populaire, où on y retrouve les immigrés, les pauvres, les gens d'en bas. Ceux qui réussissent sont ceux qui se donnent corps et âme, qui donnent de leur personne, un don de soi, un ascétisme, un mode de vie tourné vers la boxe.

Cela semble hors de propos, mais dans mon esprit, il y a un lien entre l'intérêt pour la boxe et la population des boxers. Quand vous regardez Hurricane Carter, Million Dollar Baby, Rocky, The Fighter, The Boxer ou encore Raging Bull, vous y retrouvez ces populations, ceux qui nous fascinent par ce don de soi. Vous y retrouvez ces parcours atypiques de ceux qui ne partent de rien, qui connaissent la gloire, avant de redescendre.

Maintenant, pour parler de l'oeuvre de Martin Scorsese, il parvient ici, à travers Robert de Niro, à nous emporter, à nous prendre au jeu, à nous parler de Jake La Motta, boxeur du Bronx, à nous parler de sa vie, de comment celui-ci parvient à toucher les sommets, avant de chuter. Agressif, ce personnage l'est sur le ring et dans la vie, avec son frère, sa femme, les gens. Un personnage complexe, comme Scorsese les aime. Dans ce film, on ressent les coups, la lourdeur de l'image, l'atmosphère parfois pesante, parfois paranoïaque, suspicieuse. Un Jake La Motta qui ne fait confiance à personne, pas même à lui, qui ne croît pas en lui, qui est mal à l'aise, mal dans sa peau, qui fait ce qu'il sait faire, boxer, encaisser, taper, sans trop savoir pourquoi. On sent qu'il n'a pas cet ascèse, ou du moins un ascèse de courte durée. On sent qu'il n'aime pas la boxe, qu'il n'aime pas vie. On a de l'empathie pour ce personnage, on perçoit qu'il est perdu, on comprend son incapacité à analyser les choses, on sent qu'il tend à rabaisser les gens, les autres, pour se sentir mieux à propos de lui-même. Il est davantage porté par le temps qui passe qu'acteur de sa vie. On voit qu'il est dans la vie comme il est sur le ring. Il subit, encaisse, avant d'attaquer, d'être agressif. C'est en ça qu'il est constant, qu'il est intéressant. C'est aussi en ça que ce film est une merveille, parce qu'il parvient à nous travailler au corps, à nous faire réfléchir, ressentir, ce que les personnages vivent, subissent.
pandabear
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le 19 févr. 2015

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