Quatrième film d'Ang Lee, futur roi de l'éclectisme, mais première œuvre non-taïwanaise, Sense and Sensibility affiche un casting britannique solide (Hugh Grant, Alan Rickman, Emma Thompson, Kate Winslet) et bénéficie en outre de l'expérience de Sydney Pollack (producteur exécutif).


N'ayant pas lu Jane Austen, je ne saurais évaluer la fidélité de cette adaptation --- car fidélité il doit y avoir, dans la mesure où le film porte le même nom que le roman (en cas de libertés prises sciemment avec le texte original, j'estime fautif la réappropriation du titre d'un livre).


Nous suivons pendant deux heures et quart les espoirs et les désespoirs amoureux de deux sœurs déshéritées obligées, avec leur mère et leur benjamine, de quitter un riche et confortable domaine.


Quelques aspects du film (du roman ?) sont gênants :


* la physionomie du fils héritier et (surtout) celle de sa femme les condamnent d’emblée : lui a un air de faux-derche, elle une gueule vipère --- qui déclare détester l'odeur des livres : méchante et conne, de surcroît, donc --- quand les trois frangines qui seront leurs victimes sont angéliques ; ça manque sérieusement de finesse.


* la sœur aînée Elinor (E. Thomson) et Edward (H. Grant) --- le célibataire le plus convoité de Londres (dixit la vipère) --- tombent amoureux à une vitesse supersonique. Si coup de foudre il y a, il peine à électriser le spectateur.


* ce même Edward est excessivement doux, limite couille molle ; pourquoi pas... le problème est que Hugh Grant est emprunté dans ce rôle d'emprunté.


* béguin subit également du colonel Brandon (A. Rickman) pour la sœur cadette Marianne (K. Winslet). Il la voit jouer du piano... et vlan, c'est comme s'il se le prenait sur la tête.


* malheureusement pour le militaire, la mignonne va en pincer illico pour le prince charmant qui lui aura massé le peton sous la pluie. Quelle chance elle a, la Marianne ! Elle se promène, se vautre, se fait mal ; surgit alors de nulle part le plus beau gosse du pays, spécialiste en foulures, élongations et luxations de pieds mignons...


* John Willoughby (Greg Wise) qu'il s'appelle le bourreau des cœurs. Le voilà qui passe le lendemain voir Marianne. Il repère un livre, les sonnets de Shakespeare. C'est justement Marianne qui le lit ! Et les voilà qui récitent ensemble le 116. Mieux, Willoughby, sort de sa poche une version miniature de cette œuvre. Il dit l'avoir en permanence sur lui. Ils ont les mêmes goûts ! Quel bol !! [ il faut voir comment la mère, d'ordinaire maussade, biche à l’idée que sa fille puise se caser auprès d'un tel parti ; ç'en est presque gênant...]



He lifted me as if I weighed no more than a dried leaf.



Nous sommes à la cinquantième minute. Le décor est planté ; un peu poussivement, donc, pour ce qui est des enjeux sentimentaux (c'est-à-dire l'essentiel) ; sinon, visuellement, c'est superbe, avec une variété de plans et de couleurs éblouissante ; sans parler du jeu des acteurs (qui prouvent une fois de plus combien les Britanniques surpassent leurs homologues français).


Va ensuite se dérouler, plutôt fluidement (malgré le chaos) la pelote d'intrigues, de potins, de joies et de blessures...


C'est gracieux, enlevé, absorbant, parfois poignant.


Tableau essentiellement féminin et peu favorable aux femmes (victimes de leurs passions, commères impénitentes, nuisibles les unes envers les autres, rarement désintéressées), mais, encore une fois, je ne sais si Ang Lee a bien transposé à l’écran la peinture de Jane Austen et l'esprit qui l'animait.


La sotte féministe entendue récemment (France Culture) dirait sans doute ceci ; de mémoire : « Les femmes ont été éduquées pour être des rivales. »...
Éduquées par qui ? ai-je lancé au transistor, avant de finir un vieux Penthouse de mai 1987.


Un mot sur l'angle de lecture négatif de ce film par certains. Le condamner sans appel sous prétexte qu'il présente des nantis obnubilés par l'argent du conjoint potentiel et sur qui l’idée de travail, malgré leur situation financière « précaire », n'a aucune prise, c'est juste révéler une autre riante facette de la si désirable dictature-du-prolétariat.


D'autant que le regard d'Ang Lee est de facto sévère --- et pas uniquement envers les femmes ; par exemple même l'affable colonel Brandon profitera, finalement, de la peine de Marianne --- et ne constitue absolument pas une apologie de ce monde oisif et des individus qui y grouillent.

Arnaud-Fioutieur
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Créée

le 29 août 2021

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