Avec "Ran", Akira Kurosawa signe son œuvre la plus ambitieuse, fruit d'un travail de plusieurs années dans le seul et unique but de s'approcher de la perfection. Et d'ailleurs le film n'est jamais vraiment loin de la perfection. Adaptation libre du "Roi Lear" de Shakespeare, auteur largement apprécié par le cinéaste ("Le Château de l'araignée" est une adaptation de "Macbeth", "Les Salauds dorment en paix" une variation de "Hamlet"), "Ran" est une œuvre brute nous plongeant dans le chaos d'un Japon féodal dévoré par l'ambition, la conspiration et la violence. Il suffit qu'un seigneur décide de déléguer son pouvoir à un de ses fils pour que la guerre éclate, rappelant avec cynisme combien l'homme (et la femme d'ailleurs car elle a le rôle le plus fourbe) est toujours très doué pour rompre le fragile équilibre de la paix. Il y a donc beaucoup de fourberie dans "Ran" et surtout beaucoup de violence, très graphique. La scène de bataille centrale, avec ses cadavres entassés dans des postures crispées de douleurs, ses flèches qui fusent dans tous les sens et ses flammes dévorant le château, est la plus marquante, véritable déluge d'horreurs montrant la guerre dans sa plus grande atrocité.


Visuellement, "Ran" est d'ailleurs l'un des plus beaux films de son réalisateur avec une utilisation de la couleur qui tient à la fois de l'astuce narrative (elle permet de savoir dans quel camp sont les soldats) que de la pure mise en scène. Que ce soit le blanc, le jaune, le rouge ou le bleu, chaque couleur est mise en valeur par une mise en scène toujours aussi magnifique, faites de longs plans soigneusement composés, donnant la part belle au jeu des acteurs. Tous sont d'ailleurs excellents, Tatsuya Nakadai dominant l'ensemble en seigneur sombrant dans la folie face à toute cette violence qu'il a engendré. Si l'on pourrait d'ailleurs reprocher quelque chose à "Ran", c'est ses longueurs quand il s'attarde sur le seigneur devenu fou dans sa deuxième partie. Bien que nécessaires, ces scènes viennent plomber un peu le rythme narratif du film mais lui apportent malgré tout une profondeur et une beauté qui ne seraient pas là sans elles. En soi, c'est donc une pure réussite, une grande fresque qui mérite amplement les années de travail que Kurosawa a passé dessus et qui rappelle combien le cinéaste jouait dans la cour des grands et combien aujourd'hui toute la puissance de sa mise en scène tend à devenir intemporelle.

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le 19 avr. 2016

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