RANDONNEURS AMATEURS est ce genre de films où l’on suit deux personnages, opposés sur tous les points : vécus, personnalités, physiques ou encore motivations… Deux personnages écrits de façon à ce que chacun puisse se reconnaître plus ou moins en eux. Deux personnages qui par leur fort contraste, génèrent de l’humour – ingrédient idéal à l’empathie ; deux personnages placés au cœur d’aventures extraordinaires (voyage, rencontres, situations) avec un objectif commun qui leur permettra de mieux se connaître eux-même, de découvrir la puissance de la confiance, de découvrir dans le rapport à l’autre une façon plus pertinente d’avancer et de se dépasser physiquement, socialement ou psychologiquement.
RANDONNEURS AMATEURS est donc un buddy-movie… À la différence près qu’un point commun supplémentaire rapproche d’emblée nos deux héros – non seulement l’un de l’autre, mais également du spectateur : leur âge.


Il y a donc dans le film, un judicieux jeu avec la peur de ce qu’est la vieillesse, et surtout de ce qui y mène. Si ce constat est particulièrement palpable pour nos deux héros, le plus important est qu’il le soit également pour nous : l’empathie commence ainsi dès la première scène, un enterrement, où Bryson réalise subitement son inadaptation à un monde qu’il a pourtant contribué à créer. Son monde. Un monde suburbain qui n’est ainsi pas si éloigné du nôtre, en cela qu’il correspond à un certain fantasme, tout du moins de notre culture occidentale. Stabilité, famille, confort, accomplissement. Le regard vieillissant de Bryson/Robert Redford sur ce monde nous le rend immédiatement anxiogène, car impossible à améliorer, à influencer, à contrôler. Puis il y a en parallèle, cette aversion pour la mort. Celle du corps, mais aussi celle de l’esprit (l’inaction), celle du couple (la routine) ou celle du rapport à l’autre. Ces premières scènes très réussies nous induisent en 15 min la nécessité du voyage intérieur vers l’acceptation, à travers le voyage extérieur et ses épreuves physiques, l’expérience de se sentir vivre.


L’arrivée de Stephen peu après dans le récit, sert à faciliter l’identification et à générer un second niveau d’humour, plus interactif et burlesque, mais l’essentiel de notre relation aux personnages réside dans notre projection dans le regard de Bryson.


Du point de vue structure cinématographique, les deux premiers tiers du films seront consacrés à la découverte ; celle des héros, celle de leur environnement, celle de leur relation à l’Autre. Le dernier tiers sera quant à lui pleinement dédié à l’introspection que se livreront nos deux protagonistes. Un dosage finalement équilibré, à l’image de l’écriture du film, par Michael Ardnt scénariste de Toy Story 2&3, Little Miss Sunshine ou… Star Wars VII.


Le scénario manque clairement de subtilité, d’originalité, de prise de risques. Impossible de ne pas rager devant tant de prévisibilité, devant l’alignement de tous les clichés possibles du genre buddy movie ou sur la confrontation homme/nature (déjà vus pour la plupart, dans Wild et Into The Wild ou même 127h). Malgré tout, en enchaînant les situations immédiatement identifiables, le film trouve un rythme efficace qu’il ne perd jamais.
L’écriture joue également sur le contraste entre les deux héros pour générer un certain trait à même de générer complémentarité, puis émotion : l’humour. Parfois burlesque (les ours, le lit), parfois graveleux (Stephen/Nolte, ses « phases de séduction »), parfois très fin (Bryson/Redford, ses réparties cinglantes)… Cet humour n’est toutefois que moyennement convaincant. En cause, le manque de dynamique et d’ambition de la réalisation de papi de Ken Kwapis. Pourtant paradoxalement, la sobriété de la mise en scène permet aussi de se concentrer sur ces toutes petites choses, ces détails qui caractérisent un personnage (mimiques, tics, habitudes). D’ailleurs, le point le plus réussi reste celui-ci : observer l’effet d’une vie entière sur le présent et la perception de l’avenir qu’ont ces deux hommes. Cela devient possible grâce à l’alliance entre la précision de l’écriture, l’interprétation au diapason des deux acteurs, ainsi qu’une mise en scène suffisamment sensible et patiente pour capter l’ensemble.


Bref. Un cadavre exquis de qualités et défauts qui ne convainc, ni ne déplaît jamais totalement.


RANDONNEURS AMATEURS propose un exercice difficile : dépasser l’a priori négatif et tenter l’expérience pour comprendre en quoi le film peut correspondre et s’adapter à tous types de publics. Si l’on peut rester réfractaire au genre du buddy-movie, force est de constater que malgré une mise en scène molle et plate, il y a une gestion du rythme et de l’émotion, qui touche juste. Grâce notamment, à la confiance accordée par le réal à ses deux acteurs, permettant d’étoffer subtilement, par le détail, des personnages finalement assez clichés. Un moyen de rendre intergénérationnel un discours sur la prise de conscience de ses erreurs et de son avenir, malgré l’impression de ne rien pouvoir y changer.


On pourrait craindre l’étiquette « buddy-movie avec des vieux »… Pourtant ce high-concept n’est-il pas le moyen le plus pertinent, par l’épure, le cliché ainsi qu’une certaine finesse, de renvoyer chacun à ses peurs les plus profondes tout en prenant une agréable balade dans les bois comme prétexte à la catharsis ? Somme toute, on dit oui.


Critique d'Emmanuel pour Le Blog du Cinéma

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le 14 janv. 2016

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