Le chef-d’œuvre annoncé n'en est pas un.


Dans son dernier film en date Tonton Spielberg montre ici qu'il pèse dans le game du blockbuster, deux films en très peu de temps et que la critique salue largement. Pourtant pour moi et je pense beaucoup, le patron n'a pas réussi (n'a même pas tenté en fait) à transcender son genre, ou même faire "avancer le schmilblick" à aucun moment.
Pourtant j'ai mis 6/10, ce qui est une bonne note. Peu mieux faire aurait annoté un prof de secondaire. Mais voyons ce qui va bien dans le film (enfin ce qui m'a plu).


En premier lieu l'évidence, les effets spéciaux sont excellents, je ne suis en rien un expert mais la fluidité, la tangibilité de la motion-capture est assez impressionnante et les scènes qui mélangent prises de vues réelles et 3D en démontrent toute la réussite (la fameuse scène référence à "Shining" pour preuve). Entre "Avatar" et ce film il y a eu un grand bond en avant technique et ça c'est bien. En outre Steven, qui n'a pas tout à fait perdu la main, a quelques fulgurances de mises en scènes; certains plans séquences, si rien ne les justifient sauf l’esbroufe, sont assez majestueux, constatons-le. Celui qui ouvre le film par exemple est vraiment sympa avec son mouvement descendant. C'est l'indice d'un savoir faire conséquent, chose qui ne me surprend pas, c'est de Spielberg dont il s'agit ici non de non !
Le système nostalgique référentiel comme je l'appelle n'est pas scandaleux comme je l'attendais, certaines références à la pop-culture 80's (que j'affectionne tout particulièrement je précise) sont bien menées et pas trop stupides compte-tenu de l'univers décrit (bel univers graphique d'ailleurs). Il y a donc ce souffle des premiers blockbusters qu'on retrouve un peu ici, qui rappelle les films de l'enfance, les films du daron ou ceux qu'on a découvert à l'adolescence. Et cette clé de la nostalgie joue sur la fibre émotionnelle de beaucoup de spectateurs (Hollywood le sait que trop bien).
De trop nombreux autres placements de références, par contre, font extrêmement forcés et alourdisses le récit, ce qui est une bonne transition qui me fait passer, dans une dialectique tout à fait conformiste, aux ratés, aux éléments qui ne fonctionnent pas pour moi.


En premier lieu dans le tout-va du défaut, je vais aller vite pour aller à "l'être" même du problème : la mise en scène est grandement convenue (la séquence de bataille n'est pas beaucoup plus impressionnante que ce qu'on pouvait trouver dans le motion-capturesque "Warcraft"), le récit n'est pas original pour deux sous (la trame classique qui promet romance, grand-spectacle, seconds-couteaux...), les acteurs n'excellent pas (certains sont mêmes assez mauvais pour une production de cette ampleur... je citerai pas de nom mais certains sidekicks sont énervants), la musique originale n'est pas bonne (pas nulle, mais pas bonne), les ressorts du récit sont lourdauds.
Puis viennent les problématiques majeures. D'abord, et c'est ce qui a tué la bonne expérience du film pour moi, ce sont les incohérences. Souvent quand on pointe les incohérences d'un film c'est qu'on a rien à en dire d'autre... pourtant j'affirme (et je le payerai sûrement) que le film est bourré, comme j'avais rarement vu, de ressorts absurdes, de situations qui ne tiennent pas debout, de facilités scénaristiques. Du plus courant au plus choquant.
Deux exemples choisit : Les 5 héros de l'Oasis (où manifestement toute la Terre se retrouve) qui ne se connaissent pas en vrai habitent dans la même ville (LA CHANCE !), probabilité 0,2 pour cent.
Le méchant pour son combat final contre le héros dans la VR porte une tenue qui lui fait ressentir les coups dans la vraie vie, alors qu'on a vu qu'elle n'est pas obligatoire pour jouer, alors pourquoi diable ce connard porte-t-il la seule chose qui peut lui créer une faiblesse ? Quelques exemples piochés parmi les plus comiques, mais le récit est vraiment attenté par ces incohérences stupides.
Dans le contrat de suspension consentie d'incrédulité théorisée par Coleridge, il y a à la base de tout et à mon sens un étape majeure : si le spectateur n'est pas immergé (n'est pas rentré dans le film comme on dit couramment) dans le récit, et c'est encore plus vrai au cinéma, il n'acceptera pas la dose d'irréel, de fantastique qu'il faut pour apprécier le film.
Maintenant, si vous jetez au spectateur les bases d'un récit incohérent et poussons même jusqu'à l'univers de l'Oasis dont les mobilités scénaristiques sont trop souvent permises par des aberrations à l'univers propre du film, comment cela peut-il emporter le spectateur un tant soit peu suspicieux ? Je veux dire, déjà, pourquoi diable en 2045 tout le monde est pris de passion pour les années 1980 ? Pourquoi alors que les mouvements réels sont pris en compte par la VR et que des systèmes de tapis roulants existent les gens jouent-ils dans la rue (sachant que ceci aurait-été si simple à ne pas montrer) ? Pourquoi alors que le réseau du jeu semble mondial ou au moins national les gens sont ils côtes-à-côtes dans le jeu et dans la vraie vie ? Pourquoi le méchant (qui s'est rendu coupable d'au moins deux morts avérés sans compter l'esclavagisme) ne tue pas le héros quand il en a l'occasion ? Autant de questions en fait plutôt acceptables, que l'on trouve dans de nombreux films de bonne qualité d'ailleurs, mais seulement si elles n'étaient pas aussi nombreuses. On assiste à une sorte de pot-pourri de facilités scénaristiques, ce qui, pour certains spectateurs rendra inacceptable toute situation mises en place.


Dans un deuxième temps, j'ai découvert, et ça ne regarde que moi en l’occurrence que la motion-capture et l'animation 3D en général ne m’impressionnait pas/plus du moment qu'elle constitue l’entièreté de la diégèse.
Scénaristiquement déjà, il y a peu d'enjeux à sauver un monde en VR (malgré que le vrai monde semble aller mal), puisqu'il est faux; d'ailleurs c'est la morale du film (la réalité importe plus que la VR, c'est le cadeau d'Hallyday semble-t-il). Plus gênant encore que cet élément, il n'y a pas d'enjeux réel à mourir dans un jeu vidéo. J'aurai presque envie de m'arrêter là mais ça mérite développement, d'ailleurs on essayera de me contrer en disant que : d'une part il existe un risque réel puisque des gens sont tués dans la vraie vie et que d'autre part la mort virtuelle entraîne une sorte de perte de capital amassé, pourrait-on simplifier.
Pour ce qui est du risque du jeu, comme tout jeu, on peut recommencer. Ce qui réduit drastiquement l'impact d'une mort réelle, pour les risques réels, le film ne nous laisse pas penser à la possibilité d'une exécution publique, d'ailleurs que fait la police qui semble exister dans le futur ? (Question rhétorique, en vrai on s'en fou complet).
Le problème exposé étant donc : puisque le film, le gros du film en tout cas, se déroule dans un jeu (qui n'est qu'un jeu malgré qu'il soit aussi un refuge), je trouve que le risque est faible, en tout cas que les risques prit n’impressionne pas. Enfin au moins autant qu'une partie de Fortnite...


Mais cela pose aussi un question personnelle importante, et je serai ravi de savoir où vous vous situez dans la question, l'animation est-elle en capacité de subjuguer en terme d'effets spéciaux et d'action ?
Quand dans un film d'action traditionnel les voitures explosent derrière le héros ou que des figurants combattent partout dans le cadre, c'est tangible et véridique, même si du numérique participe à l'équation. Mais ici dans ce film on peut tout bonnement dire que les scènes d'actions les plus dantesques sont fausses (?) ou du moins créées en quasi-totalité par un ordinateur, ce sont des séquences d'animation (la motion-capture n'est pas si loin de la rotoscopie, technique du ciné d'animation assez classique). Dans ce cas là, les placements audacieux de la caméra, les explosions, les combats qui font rage ajoutés à l'univers virtuel du film puisqu'ils sont totalement faux, impalpable, comment cela pourrait-il m'en mettre plein la vue ? Ce qui impressionne dans un plan séquence d'action (la fin de "Le Fils de l'Homme" par exemple) c'est aussi (et surtout) qu'inconsciemment (ou consciemment) le spectateur prend en compte la technique, les moyens mis en œuvre, le défi logistique, la performance d'acteur. Si le procédé informatique est artistique et le résultat "beau", il n'est pas éloquent et spectaculaire (ce qui est de toute évidence le but ultime du cinéma à grand-spectacle et à grand budget).
Je reprendrai donc à mon compte Bazin, qui est sûrement un peu extrême dans son propos, qui disait des effets spéciaux utilisés pour représenter l'imaginaire qu'ils étaient des "valeurs esthétique douteuses". Cela résume pas mal ce que je développe.
En outre la question porte sur la base du projet, serait-ce une erreur d'avoir voulu représenter un univers vidéoludique au cinéma ? Ce qui marche en littérature (donc dans l'imagination du lecteur) fonctionne-t-il au cinéma ?
Le fait est que personellement, ce film en démontre les limites. Si le spectacle est réjouissant, l'effet spécial tout numérique lui a enlevé toute sa verve.
Si tout est virtuel rien n'est fabuleux. (c'est de moi !)
Ici on est complétement à l'opposé du "montage interdit" on est aussi à milles lieux de Méliès et de ces trucages sur pellicules (Scorsese avait déjà fait l'erreur avec son "Hugo Cabret" et ses effets spéciaux numériques bof-bof pour rendre hommage au Maestro de l'artisanat des effets spéciaux, Méliès donc).


Pour l'avenir quand même le film nous pose un tas de questions éthiques quand au cinéma en motion-capture mais aussi ce que doit faire le cinéma du médium jeux-vidéo (ce n'est pas le premier non plu hein qu'on soit d'accord... "Spy Kid" je sais plus combien, pour l'exemple le plus con, se déroulait déjà dans un monde de jeux-vidéo en VR).


J'aborderai, en guise de couperet final, le message du film et aussi le côté tout-référentiel du film.
Ontologiquement le film est un reflet de son industrie qui lorgne vers son propre passé de manière trop évidente depuis un moment déjà. Le cinéma Hollywoodien est un cinéma d'adaptation, mais à l'époque (la nôtre) ou les 2/3 de la prod. ne sont que reboot, remake et suites de classiques très 80's; finalement on peut voir le film comme une ode à la non-révolution. N'y aurait-il que le passé qui compte pour Spielberg ? Avance-t-on vraiment en ne faisant références qu'à ce qui a été fait avant ? On peut le penser, je ne serai pas si affirmatif parce que le film par sa morale, j'en parlais précédemment, pousse aussi à s'éloigner de la VR pop-culture 80's passéiste pour la réalité, le futur donc. Mais de toute évidence la forme ultra référentielle du film détruit ce message. Mais aussi parce que le post-modernisme à su démontrer sa force à de multiples reprises.
En fait je crois que le piège à Geek à un peu fonctionné sur moi. Plus j'écris sur le côté problématique du film, plus j'ai l'impression d'avoir été floué. C'est vrai que le spectateur (moi aussi donc) aime être brossé dans le sens du poil, retrouver des lieux communs un peu différents à chaque fois, c'est plaisant. Mais cela ne devrait pas nous pousser à bouffer et re-bouffer les mêmes films, les mêmes références tout le temps qui nous sont servit à longueur d'années.
"Ready Player One" est donc, je pense, très néo-classique dans l'idée, avec toutes les qualités et défauts que ça sous-entend. Faire COMME avant sans réflexion ce n'est plus ce que je recherche au cinéma, pourtant la corde nostalgique est sensible, expliquant pourquoi le film à un peu marché pour moi.


J'espère avoir pu rendre mon avis assez clair et avoir soulevé des questionnements chez vous, chers lecteurs, j'attends vos réactions, n'hésitez pas.

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le 1 avr. 2018

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