La nostalgie, c'est quand même bien pratique. Ca nous offre l'occasion de nous replonger avec émotion dans nos vieux souvenirs d'enfance ou d'adolescence, de les enjoliver au passage et de pouvoir se la jouer vieux con en mode "c'était mieux avant !". Sauf que non, c'était pas mieux avant. Pour ce qui concerne ma propre génération, oui, nous avions des trucs super cools comme la SuperNes, Les Animaniacs et les pubs Chocapic, d'accord, mais je n'échangerai pour rien au monde ma connexion internet et ma collection de blurays contre un Minitel ou la VHS de Hercule et Sherlock. Mais comme nous avons la mémoire courte, nous préférons ne conserver que le meilleur en faisant abstraction du reste, balancer aux petits jeunots que Jurassic Park dans une salle de cinéma en 1993, bah c'était autre chose que Jurassic World, tout en évitant de causer de Batman Forever quand vient le sujet douloureux des MCU ou DCuniverse.
Et cela, les studios l'ont bien compris, nous abreuvant depuis un moment déjà de reboots, remakes et autres suites tardives. Mais pour un Mad Max: Fury Road miraculeux (initié par son propre créateur, n'oublions pas), combien de Terminator Ginesys ne jouant que la carte du racolage dégueulasse ?


Publié en 2011, le roman Ready Player One jouait lui sur deux tableaux, brossant non seulement les nostalgiques des années 80 dans le sens du poil, mais également les gamers et ce que les médias appellent sans trop savoir ce que c'est, les "geeks". Une sorte de manifeste imaginé par le scénariste Ernest Cline, grand passionné devant l'éternel de pop-culture, et qui venait de subir une sacrée déception avec les réécritures de son scénario Fanboys, transformé en gentille comédie vite oubliable. Un récit finalement classique malgré son point de départ assez dingue, dont l'intérêt résidait davantage dans l'autoportrait qui semblait en découler que dans la course à la citation rapidement gonflante. Le genre de bouquin agréable à lire car flattant nos délires élitistes de petit con élevé à grands coups de Raiders of the Lost Ark ou de Cindy Lauper (je ne juge pas, j'en fais partie) mais malheureusement bien limité.


Puis vint Steven Spielberg. Le grand, l'immense Steven Spielberg. Damant le pion à des cinéastes loin d'être manchots comme Christopher Nolan, Edgar Wright ou Peter Jackson. De quoi transformer un micro pénis en démonte-pneu. Sauf que, réflexion faites, voir un cinéaste aussi emblématique que lui, pourvoyeur de grands classiques des années 80/90 justement, avait de quoi faire flipper. Car voir le principal responsable de nos grands rêves réduit à servir la soupe à des nostalgeeks affamés tenait du cauchemar insoutenable même si son talent d'entertainer rendrait sûrement la chose un minimum regardable.


En grand conteur qu'il a toujours été, Steven Spielberg a bien compris que pour mieux adapter une oeuvre sous un autre format, il faut nécessairement la trahir un tout petit peu. Avec la complicité d'Ernest Cline lui-même et de Zak Penn au scénario, il taille dans les plus de 600 pages du roman afin d'en faire un long-métrage de 2h20 au rythme soutenu, modifie énormément de scènes, remplace les défis par d'autres, rend l'ensemble plus cinématographique, tout en conservant le fond et le message cher à Cline. Et ne laisse surtout que très peu de références à sa propre filmographie, alors que le récit initial en contenait un sacré gros paquet.


C'est peut-être justement cet aspect qui surprend le plus dans le Ready Player One version Spielberg. Car en lieu et place de l'auto-satisfaction redoutée, le film propose bien autre chose, à savoir le regard bienveillant et énamouré d'un cinéaste ayant été un fan avant d'être un créateur. Ainsi, plutôt que de multiplier les clins d'oeil à son univers (réduit principalement ici à un T-Rex, à un poster d'Indiana Jones et à une DeLorean), Steven Spielberg livre un vibrant hommage à des figures qu'il admire depuis toujours, qu'ils aient été amis ou mentors, collaborateurs ou concurrents.
Les icônes venues faire un tour ne sont ainsi jamais utilisées dans un seul but mercantile (même si le plaisir régressif de voir plusieurs méchas bien connus des fans se foutre sur la gueule pour la beauté du geste ne doit pas être boudé), mais servent avant tout l'histoire et le fond, nappées qu'elles sont d'un symbolisme plus ou moins évident selon les citations, parfois même avec la complicité d'Alan Silvestri à la partition, s'amusant à rejouer quelques thèmes devenus cultes.
Il n'est ainsi pas surprenant (ni gratuit) d'apercevoir le nom de Jack Slater dans un coin de l'écran lors de la première (et ultra-spectaculaire) épreuve, héros rappelons-le du chef d'oeuvre d'un John McTiernan (sur un premier scénar de... Zak Penn) nous offrant ce qui reste peut-être la plus belle mise en abimes du cinéma à grand spectacle.


Le réalisateur se réapproprie ainsi totalement les écrits d'Ernest Cline, y accolant ses propres obsessions et thématiques. Il n'est pas interdit de voir en ce Ready Player One un double auto-portrait, celui du Spielberg actuel, créateur inquiet de l'héritage qu'il laissera derrière lui, et celui du jeune Spielberg (ce que vient renforcer l'étrange ressemble physique entre Tye Sheridan et le cinéaste), passionné un peu gauche souhaitant par-dessus tout prouver sa valeur et se montrer digne de ses idoles.
Derrière le spectacle, Ready Player One est surtout une histoire d'êtres humains (comme le livre), le récit d'une quête initiatique, d'amours partagées ou non, et surtout de cette peur de l'autre, du regard qu'il portera sur nous. Si l'on perd parfois dans les interactions entre les personnages par rapport au roman originel (la rencontre des héros dans le monde réelle est bien plus forte chez Ernest Cline), le film n'en reste pas moins attachant, grâce notamment à un jeune casting impeccable.


Attendu dans le domaine du grand spectacle après la désastreuse réception du BGG, Steven Spielberg, sans mettre à l'amende ses confrères James Cameron, George Miller ou Peter Jackson, offre sans surprise un spectacle total, s'éclatant comme un fou à un rythme effréné, Ready Player One n'accusant aucune baisse de régime malgré ses plus de deux heures. Deux séquences en particulier marquent la rétine (au détriment d'ailleurs de la suite, dommage), tout à la fois grisantes et extrêmement ludiques.


Le metteur en scène pousse encore plus loin les expérimentations entamées avec sa virevoltante adaptation de Tintin, joue avec les possibilités infinies que lui apportent le numérique, parvenant à justifier des effets entièrement digitaux par son contexte. Car contrairement à l'approche d'Edgar Wright sur le cultissime Scott Pilgrim VS the World et le foufou Speed Racer des Wachowski, la frontière entre cinéma et jeux vidéos n'est en aucun cas éclatée, mais encore bien présente, ce qui explique que les séquences virtuelles ressemblent effectivement à des cinématiques et que celles dans le monde réelle paraissent inévitablement fades en comparaison.


Gamer invétéré, Steven Spielberg ne pose aucun jugement à l'emporte-pièce ou réactionnaire envers la réalité virtuelle, comprenant le médium qu'il met en image et prônant une utilisation nuancée de cet univers factice dont il reconnait à la fois la fantastique immersion et la bouffée d'air frais qu'il offre à une humanité délaissée par les puissants, tout autant que les limites.
Même son de cloche concernant l'accès à la culture, préférant une récupération intelligente par le public que par de grandes compagnies ne cherchant qu'à faire du fric en dénaturant toutes les oeuvres qu'elles attrapent dans leurs filets. La confrontation entre le jeune héros et sa toute puissante némésis (excellent Ben Mendlesohn) fait ainsi penser à un jeune auteur/créateur approché par une grosse major lui promettant franchises et poignons pour mieux en faire un exécutant malléable à souhait.


Bien que souffrant de quelques défauts franchement regrettables de la part d'un cinéaste aussi expérimenté (les seconds rôles sont pas mal sacrifiés et on n'échappe pas à de gros clichés), Ready Player One, s'il pourra paraître vain pour certains et passe à côté de la grande oeuvre méta qu'elle aurait pu être, n'en demeure pas moins un divertissement de haute volée tout à fait recommandable. Un spectacle attachant et profondément sincère, jouant avec le spectateur plutôt que de le regarder de haut, lui offrant un grand bol de nostalgie sans pour autant donner l'impression de racoler à tout va. Ce qui est, en l'état actuel des choses, un putain d'exploit.

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le 9 avr. 2018

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Gand-Alf

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