Comme il le dit lui-même, Steven Spielberg a conçu Ready Player One depuis le public, et non pas derrière la caméra. Il suffit en effet de quelques minutes pour comprendre que chaque choix, chaque décision, chaque parti pris du film se décide à notre hauteur. De par ce point de vue judicieux, le film évite de sombrer dans l'écueil le plus attendu : l'overdose de fan-service. Car en substance, le film (comme le livre qu'il adapte) n'est pas constitué que de références, de clins-d’œil et autres réutilisations de grandes figures pop-culturelles. Ready Player One n'est pas un film naïf ou niais, pas plus qu'un enchaînement vain d'éléments déjà-créés. Comme toujours dans sa filmographie, Spielberg cache derrière une façade ultra-divertissante un discours plus sombre, plus complexe. L'idée d'un monde virtuel dissimulant ses basses manœuvres en surexploitant les rêves des gens a dans le fond quelque chose d'aussi noir que le monde décrit dans A.I. (dont le film peut se rapprocher sur la question d'une technologie mal employée ou mal comprise). Car outre cette histoire de rébellion pour reprendre le contrôle de l'OASIS, ce monde virtuel finalement très mal nommé, le film montre surtout l'expérience d'un joueur-fan se révélant factice, et pire encore profondément pervertie par une mégalomanie cynique et mercantile (tout comme l'amour du petit David, inconcevable pour toute autre personne que lui). Le film implique d'ailleurs un retour à la "réalité réelle" telle que décrite par James Halliday (Mark Rylance, dont le personnage étrange rappellera aux amateurs de nanars un certain Tommy Wiseau) comme seul véritable moyen de gagner la partie. Ce n'est pas rien si le dénouement se déroule en deux temps :


Une première partie dans l'OASIS, bataille gigantesque et démesurée mais qui ne règle qu'une partie de l'histoire. Une deuxième dans le monde réel, bien plus modeste dans ses effets mais plus lourde dans ses enjeux, puisque les personnages y achèvent leur parcours.


C'est donc là que réside le génie de Ready Player One : inviter le spectateur au voyage pour finalement lui rappeler à quel point il est bénéfique, parfois, de garder un pied dans le concret. Une partie du génie, du moins.


Car c'est véritablement sur le plan formel que le film transcende son postulat de base. A la manière du Speed Racer des sœurs Wachowski, le film est une orgie esthétique, un déferlement ininterrompu de morceaux de bravoure. On avait pas ressenti pareil choc dans une salle depuis Mad Max : Fury Road. A travers de nombreux plan-séquences (la forme vidéo-ludique par excellence), Spielberg prouve qu'il a su regarder enfin le jeu vidéo et la virtualité sous le bon angle. Il n'est pas question ici d'adapter bêtement une licence à succès (le film est donc en quelque sorte le contraire du récent Tomb Raider) mais d'aller puiser dans le monde du jeu vidéo, dans ses règles, ses codes et ses mécaniques de nouvelles idées de mise en scène, de nouveaux concepts visuels et dramaturgiques que le cinéma numérique permet enfin de filmer. Il me faudrait des pages entières pour dévoiler toutes les trouvailles géniales qui jalonnent cette oeuvre d'une grande richesse, mais loin de moi l'envie de dévoiler les nombreuses surprises du film...


Mais ce n'est pas dans le fond ce qui me touche le plus dans cette oeuvre gigantesque. Et pour vous dire de quoi il s'agit, il faut parler un peu de moi.


C'est aux côtés d'un archéologue à l'allure de cow-boy et au père envahissant que j'ai pour la première fois franchi les portes du 7ème Art. C'est devant le doigt luminescent d'un petit être rabougri venu d'ailleurs que j'ai versé mes premières larmes de spectateur. Et c'est enfin en vibrant de tout mon corps au son d'un titan préhistorique que j'ai compris qu'il ne suffisait plus de voir. Il fallait tenter de devenir à son tour cinéaste, coûte que coûte.


Steven Spielberg m'a accompagné tout au long de ma vie de cinéphile, m'a offert par ses œuvres tout un tas de clés pour pénétrer ce monde de rêveries où il fait bon s'évader. Il m'a aussi offert mes premiers cauchemars, m'a montré l'Humain sous son jour le plus noir, a partagé avec moi ses indignations, ses colères, sa tristesse. Mais surtout, comme expliqué plus haut, il a déclenché chez moi tout un tas de désirs de création complètement fous. Il m'a permis de me forger un univers mental qui m'appartient et où je me réfugie encore, parfois. Un univers où existent des films que vous ne verrez jamais, des films qui ne sont bons que pour moi, des films que moi seul peut comprendre. Et aujourd'hui, bien longtemps après avoir déclenché ma vocation, il vient de livrer sur un plateau d'argent le film-somme qui cumule tout ce qui m'a fait rêver, tout ce qui m'a ému, tout ce qui a marqué pour toujours ma mémoire. Le film que j'aurais aimé faire.


Steven Spielberg est un génie absolu, le plus grand de tous. Ready Player One est probablement le meilleur film du monde. Mon parcours de cinéphile a peut-être atteint son accomplissement.

Bewaretheblob
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le 23 mars 2018

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Bewaretheblob

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