De l'incompatibilité de l'étrange et de l'absurde

Quentin Dupieux fait du Quentin Dupieux dans Réalité et c'est d'ailleurs ce qui cristallise bon nombre de commentaires, pourtant j'ai vu en Réalité une approche assez différente du réalisateur de Rubber.

Dans Rubber justement, le droit à l'absurde est ouvertement proclamé et l'on se plonge dans ce film l'esprit libre, ouvert, prêt à tout accepter.

Rien de tel dans Réalité, le film débute sur une succession d'histoires parallèles qui m'ont rappelé cette méthode de théâtre impro qui consiste à faire converger différentes histoires qui, a priori, n'avaient aucun lien entre elles. Dans ses histoires, Dupieux travaille davantage sur l'étrange que sur l'absurde. La prestation de Chabat, d'une nonchalance extrême, est d'une pure drôlerie, celle de Lambert surprenante et prend toute son ampleur au fur et à mesure de l'avancé du film.

Par cette construction, on s'attend à comprendre l'intrication de ces histoires mais l'esprit s'empêtrent dans les liens anachroniques, absurdes et troublantes qui les unient. L'esprit cherche à linéariser ces histoires dans lesquelles sont parsemées de plus en plus d'absurdités, alors qu'elle fonctionne sur un système circulaire, une sorte d'inception infinie où la suite des limbes seraient un retour à la réalité (ou plus simplement comme Gaston Lagaffe comptant infiniment des bouteilles vides disposées en cercle). Et c'est là où mon reproche principal portera. Les précédents films de Dupieux assument d'emblée leur absurdité, qu'il pose même en postulat, et permettent à leur réalisateur toutes les largesses scénaristiques possibles. Plus c'est improbable, plus on aime.
Mais la construction de Réalité est plus fine, plus complexe et le recours au tout absurde est finalement frustrant tant la contextualisation prend une part plus importante dans ce film. Le talent imaginatif de Dupieux semble se réduire à une faiblesse d'un scénariste devenu prisonnier de son propre scénario.

D'autre part, la montée en tension qu'envisage le film grâce aux triturations qu'il impose à l'esprit n'a pas l'efficacité d'un Lynch tant le film est ancré ses codes comiques. Non seulement l'angoisse ne prend pas, mais le rire disparait.

Ainsi, on n'a pas la possibilité de comprendre l'intrication des histoires, ce que le travail sur l'étrange nécessite, alors qu'un travail sur l'absurde pur pouvait s'en affranchir. On n'a pas non plus la montée en tension qu'un Lynch susciterait, car le film est trop ou trop longtemps imprégné de codes qui relèvent de la comédie.
Autrement dit, l'étrange et l'absurde se desservent mutuellement.

A vouloir faire du Nolan ou du Lynch, Dupieux s'est, à mon sens, égaré. Il n'en reste pas loin que ce film à le mérite de triturer le cerveau du spectateur, que ce dernier possède ou non l'expérience du cinéma de Dupieux, et c'est infiniment bon d'être déstabilisé dans un, ou en tout cas mon, monde rationnel.
Alexis_Ellay
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le 24 févr. 2015

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