Miss Nord-Pas-de-Calais et ses dauphines

Sandra (Cécile de France) est de retour à Boulogne-sur-mer. Il s’agit d’un échec qui la voit retourner chez sa mère qui vit dans un mobile-home. Son titre de Miss Nord-Pas-de-Calais (qui date de 2005) lui avait peut-être un peu monté à la tête. Sandra pensait vivre la belle vie sur la Côte d’Azur où elle avait suivi un homme. Le retour à la réalité est difficile à vivre : pas d’autre boulot qu’à la conserverie locale où elle va mettre des sardines en boîte à la chaîne. N’ayant jamais travaillé dans ces conditions, elle est plutôt bien conservée, en tout cas mieux que celles qu’elle va côtoyer, en particulier Nadine (Yolande Moreau) et Marilyn (Audrey Lamy) avec qui elle se retrouve rapidement liée pour des raisons indépendantes de sa volonté. Il se trouve que le contremaître de l’usine, Jean-Mi (Patrick Ridremont) a des vues sur elle. Pour créer les conditions qui lui conviennent, il désigne Sandra, Marilyn et Nadine pour une corvée de fin de journée. Alors, les événements se précipitent, avec de nombreuses péripéties, des révélations qui changent la donne, puis l’irruption de nouveaux personnages avec des intérêts personnels qui apportent leur lot de complications et de tensions.


Cosigné Jérémy Guez et Allan Mauduit (le réalisateur), le scénario apporte suffisamment de rebondissements pour qu’on ne s’ennuie jamais à la vision de ce film. Au crédit du réalisateur, ajoutons qu’il a le chic pour créer la surprise par quelques plans bien élaborés, tout en faisant du spectateur son complice. Dans l’ensemble, le film est assez jubilatoire par le ton qu’il adopte : une comédie policière qui vaut quelques rires libérateurs. En ce qui me concerne, j’irais jusqu’à dire que plutôt que le rire, ce film produit de nombreux ricanements. Je pense par exemple à ce détournement sans scrupule d’un système destiné à la rentabilité au détriment de l’humain. Pour son deuxième long métrage après Vilaine (2008), Allan Mauduit ne se contente pas de trousser une comédie policière selon une recette identifiable. On sent qu’il aime l’humour un peu trash, mais je n’irais pas jusqu’à voir dans son film un « à la manière de » trop réducteur. Disons plutôt qu’on sent que l’équipe connaît l’univers des films noirs comme celui de la comédie de qualité à la française, que le trio d’actrices montre une belle complémentarité qui doit probablement aussi bien à la complicité féminine qu’à la direction d’acteurs. Et si ce trio féminin est à l’honneur, les personnages masculins nettement moins présents restent suffisamment bien campés pour ne pas dévaloriser l’intrigue. Ainsi, Simon Abkarian issu de la troupe de Robert Guédiguian, apporte de l’inattendu et de l’émotion dans les relations familiales. Et l’inspecteur Digne (Samuel Jouy) qui mène l’enquête sur la disparition de Jean-Mi est un policier dont la vraie personnalité ne se révèle que progressivement.


Un des points positifs de ce film est la description du milieu des ouvriers qui survivent tant bien que mal à Boulogne-sur-mer. Les femmes qui travaillent à la conserverie (dont l’origine remonte à 1959), sont presque des privilégiées, puisqu’elles ont un emploi. Bien-sûr, elles gagnent trois fois rien et elles éprouvent les pires difficultés pour maintenir le ménage à flot, entre maris absents ou sans emploi et enfants en manque de repères à qui elles ne savent pas toujours dire non malgré les difficultés financières (refrain un peu vain « Ca va aller »). Dans ces conditions, une vie familiale équilibrée relève de l’improbable. Le scénario en joue habilement.


Mais tout cela va plus loin et explose littéralement avec la découverte par ce trio infernal, d’un beau paquet de billets de banque qui leur tombe du ciel. Un magot qui va jouer les révélateurs et les placer dans des situations dangereuses auxquelles elles feront face avec leurs personnalités (grande gueule, culot, opportunisme, organisation personnelle, etc.). Quand on vit de trois fois rien, comment résister aux perspectives qu’offre une telle somme ? On notera au passage qu’à des degrés divers, la même tentation titille bien d’autres personnages de cette comédie...


Le tout est mis en valeur (assaisonné), par des dialogues où fleurissent grossièretés et vulgarités, révélatrices d’un certain laisser-aller dû aux conditions d’existence peu reluisantes. Sous couvert d’une comédie policière, Allan Mauduit livre donc également une fable sociale qui permet de donner quelques pistes de réflexion sur les causes et conséquences de l’état de notre société.


Sans faire dans le génie, la mise en scène (quelques mouvements de caméra habiles) et le montage mettent en valeur un scénario bien ficelé. A noter également des choix judicieux pour la BO : Saint-Saëns et sa Danse macabre (qui donne un rythme d’enfer) au début », un extrait des Quatre saisons de Vivaldi, un autre de La Moldau de Smetana et surtout une scène de karaoké sur Je dois m’en aller du groupe Niagara. Bref, une réussite d’ensemble !

Electron
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le 6 mai 2019

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