Gus Van Sant filme l'amour de deux jeunes adolescents hantés, flippés, meurtris, qui ensemble s'épanouissent et se donnent la force et le courage d'affronter la mort. Ici, pendant cette heure et demie, est racontée l'histoire sombre, et pourtant traitée joyeusement, d'Enoch et Annabel ; ces deux prénoms, auxquels Henry Hopper et Mia Wasikowska donnent corps, sonnent à mon oreille comme une réplique moderne de personnages tragiques. D'aucuns verront en ce film une bluette attendrissante mais vaine, au charme certain mais suranné. J'y ai vu bien plus que ça.

Ce film, et ses personnages, sont dès les premières minutes cernés par la mort. Bien que filmé avec joie et mélancolie par Gus Van Sant, le propos du film est macabre. Les premières minutes du film se passent au sein d'une bâtiment de pompes funèbres ; plus tard, lorsque les deux protagonistes se retrouvent par hasard, c'est dans un cimetière qu'ils se croisent. Leur destin est alors scellé : leur relation, débutée dans le funèbre, finira dans la mort, inéluctablement. Mais lorsque les dernières minutes du film réalisent finalement la prédiction initiale, les images témoignent d'un sentiment de mélancolie rassurant, d'une joie persistante, et non pas d'une tristesse appuyée. C'est là toute la délicatesse du réalisateur ; usant d'un scénario niais et propice au pathos, il détourne les clichés afin de réaliser un bijou d'optimisme libérateur et léger.

En effet dans le film, Enoch et Annabel, ensemble, vainquent la mort. Car quelle plus belle victoire que d'accepter la mort sans rancœur ni regret ? Quelle plus belle vision de la vie que celle qu'ont ces deux innocents, heureux d'avoir vécu, heureux d'avoir aimé ? « Je n'ai jamais été plus heureuse », avoue Annie, dans un simulacre de ses derniers instants. « Je t'aime », lui répond Enoch, avant de se renfrogner, de s'exclamer que cette interprétation de la mort est ridicule. La route et longue et laborieuse avant l'acceptation de la perte de l'autre. Gus Van Sant en filme la difficulté.

La première difficulté, c'est la peur d'Enoch. Annabel a accepté depuis longtemps que sa vie cessera tôt. Mais son ami, au fur et à mesure de son attachement pour elle, ne peut s'y résigner. Quel incessant cercle vicieux de déni puis d'abandon du jeune homme face à la mort ! Un temps ses parents lui manquent, un temps il leur en veut et les déteste. Un temps il s'implique avec enthousiasme dans sa relation avec Annabel, un temps il renonce, apeuré. La peur de l'engagement, typique des relations amoureuses adolescentes, se lie à son effroi, à son deuil inachevé, formant un amas de sentiments qu'il peine à exprimer, qu'il peine à amadouer.

Seul reste Hiroshi, immuable, éternel, fantôme rassurant, allégorie de sa propre peur. Hiroshi le kamikaze, l'ami imaginaire, seul capable de tempérer Enoch – comme lorsque sur le pont Enoch s'approche un peu trop près du bord du fleuve. Figure protectrice, Hiroshi est l'alter ego d'Enoch, son ami le plus complice. Il donne une dimension fantastique à la relation entre les deux protagonistes, offre au film un ressort dramatique plus perceptible.

Alors, Restless, il faut l'avouer, c'est le must du must. Restless c'est la joie de vivre, tout simplement. On peut dire que c'est la rencontre de deux âmes moins jeunes qu'elles ne le croient, moins insouciantes que les autres. Deux âmes rapidement liées à tout jamais, dans une joie de la découverte de l'autre couplée à une appréhension de l'avenir et de la mort. Et nous qui vivons avec eux ces premiers et derniers émois éprouvons à la fin du film cette même joie de vivre, tels l'oiseau rare qui chaque matin, se réveillant et découvrant qu'il vit encore, pour un jour de plus, se met à chanter sa joie d'être en vie.
Pukhet
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le 29 janv. 2012

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Pukhet

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