"Have a taste of dust and sweat, mate? There's nothing else out here."

Ces phrases ne se traduisent pas. Le titre du film qu'elles annoncent non plus, d'ailleurs. Elles se comprennent, ou plutôt, elles se ressentent. Ted Kotcheff, avant de réaliser Wake in Fright, disait vouloir "faire un film qui fasse transpirer ceux qui le regardent", et c'est à peu près ça, l'impact n'est pas seulement cérébral, mais on ressent bel et bien une force d'ordre physique lorsqu'on le regarde - il fascine, il envoute, il terrifie. Le film s'ouvre sur le désert, avec un fond sonore ensorcelant, et lentement, on y voit la caméra qui tourne à 360° et nous annonce le décor - minimaliste, grandiose et angoissant - le désert de l'Outback. Il se ferme sur ce même désert. Entre les deux, l'intrigue est simple, c'est John Grant, un instituteur ambitieux devant traverser l'Outback pour retrouver sa fiancée à Sidney. En passant, il s'arrête dans une ville inventée, et pourtant plus vraie que nature, surnommée 'the Yabba', et le film commence. Ce que l'on voit alors, on n'a jamais su le décrire. Il y a des airs de western, de film d'horreur, de drame. On pense à l'exploitation - aux films de Hooper, de Meyer (Massacre à la tronçonneuse, Faster Pussycat, Kill, Kill) - en voyant des scènes crues filmées de sang froid, terrifiantes, en admirant leur execution, en ne comprenant pas pourquoi. On se remémore aussi des westerns de Ford et de Stevens, et de leurs obsession des grandes espaces, des visions d'ensemble (La Prisonnière du Désert, Giant, L'homme des Vallées Perdues). Et puis, il y a comme éléments sous-jacents des tons existentialistes, psychologiques, on pense alors à Wenders et à Antonioni (L'Avventura, Profession: Reporter, Paris, Texas). Enfin, il y a quelque chose de nouveau, que l'on n' a ni vu avant, ni vu après.
Wake in Fright, c'est la dissection d'un homme, le retour à son aspect primitif, sous la chaleur plombante, et le vide intimidant de l'Outback, c'est une scène de jeu, une scène de chasse qui nous hantent. Wake in Fright, c'est aussi un voyage, tout simplement. Ted Kotcheff n'a pas la prétention de faire un film philosophique, il ne pose pas de question, ne donne pas de réponses, non plus. Ce qu'il y a là, c'est un travail à saisir sous sa forme brute.


Ce que j'ai trouvé, c'est la réponse tant attendue à ce fantasme bien connu de découvrir un "chef-d'œuvre perdu". Car on ne dissocie pas Wake in Fright de son histoire. Il vient d'Australie, de 1971, n'a été disponible que sous forme altérée pendant une trentaine d'années, et est aujourd'hui retrouvé. Il est donc autant méconnu que culte. C'est un film qui n'a pas de place logique dans l'histoire du cinéma, pas de genre non plus. On hésite à le décrire comme un film B, ou à le mettre sur le même plan que les ''grands''. On a du mal, d'ailleurs, même en étant bien familier avec le septième art, à en entendre parler. On ne le trouvera pas facilement sur une liste, dans un livre, dans la culture populaire, on ne sait pas quoi en faire. Pourtant, une fois découvert, on devient véritablement incapable de l'oublier.

nmarinel
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le 29 avr. 2018

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nmarinel

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