[ Attention, cette critique dévoile des éléments de l'intrigue ]


11 ans avant la sortie du premier volet de Rambo, le Canadien Ted Kotcheff a fait un crochet en Australie avec son starter pack (des hectolitres de bière, des lunettes de soleil, des armes et un putain de ventilo) pour nous livrer une odyssée donnant une part belle à la décadence humaine.


Après un magnifique travelling circulaire nous montrant une vue d'ensemble du village de Tiboonda, à savoir pas grand-chose, nous faisons la rencontre de John Grant, l'instituteur local sur le point de rentrer à Sydney pour les vacances de Noël. Si John a mis un pied dans ce trou paumé, ce n'est ni par choix, ni par envie mais par obligation de rembourser une caution de 1000$ pour pouvoir exercer dans le supérieur. Foutu système qui l'empêche de vivre aux côtés de sa copine surfeuse qui moule bien son maillot !


Avant son arrivée, il fait une petite escale à Bundayabba (Yabba pour les intimes), une petite ville minière dans laquelle il va vivre des événements qui le marqueront à tout jamais. TA TA TAMMMM



Un road trip dans la terreur



Un quart d'heure de film plus tard et on retrouve un John déjà bien imbibé d'alcool qui commence tout doucement à découvrir les codes qui régissent la ville:



"Qu'est-ce que tu fais dans la vie ?" "Je bois"



"Ça pourrait être pire s'il manquait de la bière "



"L'eau c'est uniquement fait pour se laver"



Il va ensuite participer à une série d'expériences pouvant être jugées comme décadentes :
- Acte I : Les paris aka "Je vais me refaire";
- Acte II : La sexualité décadente aka le relan gastrique;
- Acte III : La chasse sauvage aka le massacre gratuit;
- Acte IV : L'homosexualité aka "Il est ou mon pantalon ?";
- Acte V : Le suicide râté.


Chaque acte adopte le même schéma cyclique : une hésitation, une participation et une forte culpabilité; le tout entrecoupé par de la violence et de l'alcool.


Si l'issue du film est connue d'avance et même explicitement annoncée sur le ton de la boutade (maudite chaleur !), le film n'en reste pas moins surprenant et captivant quasiment à chaque instant.



Une foule dans la terreur



Le casting n'est pas mirobolant, les personnages n'ont pas tous hérité de la même qualité d'écriture mais leurs personnalités s’emboîtent bien.


Un policier du coin, Jock Crawford, qui fait office de guide de service. Sa méfiance pour les étrangers n'a d'égale que la persuasion qu'il met dans les invectives qu'il leur adresse pour les forcer à boire.


Un bande de pote improbable entre un Tim gringalet et les deux armoires à glaces australiennes qui boivent et massacrent des animaux pour passer le temps et nourrir le doc du coin.


Janette, jeune femme inexpressive et désincarnée qui n'en reste pas moins la nymphomane de service qui sévit dans toute la ville. John a d'ailleurs bien déchanté lorsqu'il l'a appris; lui qui pensait avoir tiré son épingle du jeu avec sa réplique de lourdo:



L'éclat de la lune semblable à de la neige sur le désert poudre ton visage



A part elle, les femmes sont quasi-absente du film. Elles sont reléguées à de simples rouages assurant le fonctionnement du système : des bras actionnant les tireuses à bière, des hôtesses distribuant des clés,...


Et enfin, le Doc Tydon , qui est certainement le personnage le plus malsain de la ville. Il administre des cachets à prendre avec de la bière pour mieux encaisser les effets de l'alcool. Il est totalement conscient du fait que son mode de vie soit malsain; et c'est cette lucidité qui rend son comportement désinhibé encore plus inquiétant.



Une immersion dans la terreur



La réalisation colle bien aux propos du film. On est vite plongé dans l'expérience et on se plaît à partager les altérations sensorielles ressenties par John . Des lampes virevoltent, des cris maléfiques retentissent, des visions hachées et survoltées apparaissent, des ellipses surgissent avec justesse, des plans fixes contrastent bien avec le déchaînement de violence... le tout forme un ensemble qui tient la route en nous maintenant aux premières loges de cette descente aux enfers.


Le rythme du film est inégal et comporte de nombreuses répétitions tournant autour de la beuverie. Néanmoins ce parti pris reste efficace et permet de maintenir une certaine tension et de bien amener les différentes expériences décadentes.


La violence est retranscrite avec un réalisme saisissant. Le film est d'ailleurs en partie célèbre pour ses scènes réelles de mise à mort des kangourous.



Un réveil dans la terreur



Une fois le dépaysement passé, force est de constater qu'il y a de l'ordre dans ce chaos. A l'image de la foule de parieurs hystériques qui enchaînent les parties à la vitesse de l'éclair sans aucune contestation; ou encore de l'hommage impromptu adressé aux combattants qui s'est déroulé dans le plus grand calme.


Lors de sa première rencontre avec John, le flic avait présenté Yabba comme



la ville la plus honnête de l'Australie



En un sens il a partiellement raison, c'est bien une ville où l'on peut vivre honnêtement en phase avec ses vices, ses excès et ses déviances. Une ville qui accepte sans jugement des personnes en décalage avec les mœurs de la société. Ils l'admettent tous plus ou moins explicitement d'ailleurs :
- le flic qui n'a pas aimé Sydney après une mini formation de trois mois;
- le doc qui avoue qu'il ne pouvait pas exercer à Sydney à cause de son penchant pour la bibine;
- Jeannette qui adresse son expression la plus figée en réponse au questionnement de John sur sa présence dans ce trou malsain.


Même s'il a connu des moments "mouvementés" durant son séjour, notre John n'a finalement pas sombré en restant sur place. Même s'il a commis l'irréparable à plusieurs reprises, il est resté un simple "passager" confronté à ses limites. Cette expérience lui a permis de se recentrer sur lui-même et n'a fait que renforcer son aversion contre le système éducatif avec lequel il n'est plus en phase. Son retour à la case départ en est dotant plus ironique.


Allez John, plus que quelques étapes et tu pourras enfin quitter Tiboonda, t'installer en Angleterre et recevoir ton Pulitzer !


PS: Et rassurons-nous tous les australiens ne sont pas des tueurs de Kangourous ! http://media.gettyimages.com/photos/episode-2859-pictured-wildlife-expert-steve-irwin-during-an-interview-picture-id510894244

GigaHeartz
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le 2 mars 2016

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