C’est dans le silence que commence Rio Bravo, lors d’une séquence fondatrice qu’il faudra décidément revoir pour confirmer à quel point elle est la matrice du récit à venir. Tout y est dit : la violence du hors-la-loi (Burdette), celle faite à soi-même (l’alcoolisme) et la figure du père tentant, non sans y laisser des hématomes, de conduire ce chaos discret vers la sérénité.


Le silence s’effilochera par la suite dans ce film résolument construit sur les dialogues et les échanges, mais ses incursions seront toujours au service d’un sens aigu du visuel : des trajets dans une rue, décor presque unique reliant des intérieurs prépondérants, une paranoïa croissante et une scène sublime où du sang vient colorer la bière.


Les trajets, justement. Rio Bravo entérine des parcours : celui de la rédemption pour Dude, et ceux de l’enferment pour les deux autres figures majeures : du bad guy, bien sûr, mais aussi du big boss qui tombe avec une grâce infinie dans les rets d’une mante insidieuse, l’époustouflante Angie Dickinson.


L’immense talent du film réside dans son équilibre étourdissant. Entre le western attentiste, la romance screwball, entre l’amitié virile et la peinture d’une communauté, Rio Bravo se permet avec une audace déconcertante des échappées continues vers les visages et des personnages tous attachants, de l’hispano témoignant face caméra au boiteux dont le rire est anthologique. Puisqu’il faut attendre l’assaillant extérieur menaçant la place de la Loi, autant profiter de ces béances temporelle pour souder la communauté et panser les plaies anciennes qui tenteraient de la pourrir de l’intérieur. On parle, on chante, on plaisante… et l’on s’empêtre dans un jeu de séduction qui retourne l’Homme Wayne comme un pancake, lui dont le regard bienveillant le plaçait jusqu’alors en position de sage patriarche. Qui saurait rester d’aplomb face à la voix rauque et la silhouette sculpturale d’Angie, alliées à un sens de la manipulation et de la mauvaise foi élevées au rang d’art martial ?


Rio Bravo n’est pas un film d’aventure : c’est l’invitation dans une communauté, sur une scène décidément très théâtrale, où l’on résout davantage par la parole que par le flingue. Mais une fois l’humanité de chacun dévoilée, le spectateur rendu complice pourra suivre la joyeuse bande dans une comédie de plus en plus assumée, où l’on ponctue ses saillies par des explosions de dynamite, tandis que la belle rend son sourire plus victorieux encore en le faisant scintiller de larmes.


Il n’y a qu’une chose à faire face à Rio Bravo, et l’on n’a cessé de nous le dire depuis le début : succomber.


Présentation détaillée et analyse en vidéo lors du Ciné-Club :


https://youtu.be/nWYdPrGghzQ

Sergent_Pepper
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Comédie, Western, Les meilleurs films sur l'amitié masculine, Vus en 2014 et Les meilleurs westerns

Créée

le 28 sept. 2014

Critique lue 3.7K fois

88 j'aime

20 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 3.7K fois

88
20

D'autres avis sur Rio Bravo

Rio Bravo
Sergent_Pepper
9

Conversations discrètes

C’est dans le silence que commence Rio Bravo, lors d’une séquence fondatrice qu’il faudra décidément revoir pour confirmer à quel point elle est la matrice du récit à venir. Tout y est dit : la...

le 28 sept. 2014

88 j'aime

20

Rio Bravo
Ugly
10

Un dollar dans un crachoir

Ah Rio Bravo ! je sens mon coeur vibrer, je pensais ne pas trouver les mots, c'est pourquoi depuis mon inscription sur SC, je repoussais fébrilement l'échéance de faire la critique d'un tel monument...

Par

le 5 févr. 2020

69 j'aime

113

Rio Bravo
Biniou
10

Critique de Rio Bravo par Biniou

Hum, Rio Bravo de Howard Hawks, qu'est-ce qui fait que j'aime ce film à la folie ? Il n'y a pas 150 raisons, c'est juste une histoire de jubilation. Rio Bravo c'est presque un film à sketches, lié...

le 15 juil. 2012

54 j'aime

18

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

765 j'aime

104

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

700 j'aime

50

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

615 j'aime

53