RoboCop 2
5.5
RoboCop 2

Film de Irvin Kershner (1990)

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Robocop est un succès massif pour la firme Orion, qui reste malgré tout en difficulté financière et met en chantier une suite rapidement. Ed Neumeier et Michael Miner scénaristes du premier film proposent un pitch baptisé Corporate Wars qui voit dès les premières pages, Robocop détruit par des criminels lors d’une intervention et ranimé 25 ans plus tard dans une civilisation radicalement différente avec des villes autonomes baptisées Plex où des citoyens privilégiés vivent une vie de loisirs alors que les plus pauvres (les outplexers) habitent des bidonvilles hors des murs de la cité. Le président des États-Unis (ou AmeriPlex) est un ancien comédien tandis que Ted Flicker un « super-entrepreneur » manœuvre pour racheter le gouvernement et le transformer en une société privée. Découvert par des hommes de Flicker dans les ruines de l’OCP, désormais disparue, RoboCop est réparé et interfacé avec NeuroBrain, le système informatique central du Plex. Bientôt, il est pris dans la lutte pour le pouvoir de Flicker, une campagne sanguinaire contre les Outplexers alors qu’un groupe de terroristes menace le Plex avec une bombe à neutrons. Il est en permanence bricolé par un scientifique reclus, aidé par un hacker chinois, et courtisé par l’esprit désincarné de NeuroBrain (basé sur les impulsions de pensée de la femme décédée du scientifique). Le producteur Jon Davison rejette ce pitch qu’il juge incompréhensible et qui se débarrasse de tous les personnages secondaires du premier film. Déjà peu enthousiaste Paul Verhoeven refuse de participer à cette suite sans les scénaristes originaux. Robocop étant un véritable comic-book live, Davison contacte le scénariste Frank Miller légende de la bande dessinée auréolé du succès de son The Dark Knight Returns qui accepte l’offre avec enthousiasme, désireux de faire impression à Hollywood comme il l’avait fait dans l’industrie du comics au cours de la dernière décennie. A la réalisation, Orion embauche Tim Hunter jeune cinéaste prometteur dont le seul film remarquable à ce jour était Le Fleuve de la mort (River’s Edge) en 1986, un film indépendant avec Keanu Reeves. Hunter et Miller passent des semaines à travailler ensemble pour définir l’apparence, le ton et le style du film sur le papier mais Orion intervient sans cesse demandant la réduction du volume de dialogues, l’augmentation du nombre et de la fréquence des scènes d’action. Le scénario de Miller est jugé « infilmable’ par les producteurs et les directeurs de studio qui embauchent alors le vétéran Walon Green (La Horde Sauvage, Sorcerer) pour le « muscler ». Ça en est trop pour Hunter qui quitte le projet alors même que, si son scénario est profondément modifié, Miller sera présent sur le plateau tous les jours, désireux de tout savoir sur le processus de réalisation du film (il apparaitra même dans le film crédité comme Frank le chimiste). Pour pallier la défection du réalisateur, Jon Davison se tourne vers le vétéran Irvin Kershner (67 ans), toujours auréolé du succès de L’Empire contre-attaque dix ans plus tôt. Kershner et Miller font de leur mieux pour être sur la même longueur d’onde, mais manquent de temps, au moment où Kershner est embauché, le tournage est imminent et ce dernier édulcore grandement le script de Miller.


Robocop 2 aurait pu être un digne successeur au film de Verhoeven : violent, satirique, bourré d’action désireux de tenter de nouvelles choses avec le personnage plutôt que d’emprunter une voie plus commerciale et d’en faire un super-héros PG-13, Kershner (dont ce sera le dernier film qui aura l’honneur d’une sortie en salles) est un solide technicien, capable de se plier aux exigences de différents genres et en dépit de son âge fait de son mieux pour suivre le ton établi par Paul Verhoeven. Mais réussir un tel le mélange de comédie, de violence, de métaphores, d’action et de satire politique s’avère beaucoup plus difficile qu’il n’y paraît. RoboCop 2 reste un film « méchant » mais Kershner , abandonne le ton satirique de Verhoeven pour bâtir une aventure plus classique, malgré le retour des fausses publicités vendant des produits horribles pour cet avenir horrible. La plupart des problèmes du film ne viennent pas des concepts qu’il cherche à développer, mais d’un traitement qui n’approfondit pas assez l’exploration de ses thématiques, sans doute une conséquence des nombreuses réécritures du film. RoboCop 2 fait ainsi miroiter que la femme de Murphy va tenter de renouer avec lui, ce qui aurait pu être une intrigue intéressante, montrant comment l’existence cybernétique de Murphy limite ses désirs romantiques ou physiques mais elle est rapidement abandonnée. Alors que Murphy dans la continuité du précédent déplore la perte de son humanité, aspirant à une nouvelle vie aux cotés de sa famille, pour se faire rabrouer par l’avocat de sa femme, il finit par la repousser ensuite brusquement pour se jeter totalement dans son travail de police. Même si Kershner et Weller parviennent à faire ressortir quelques moments poignants de vrai désespoir, ce revirement trop soudain semble artificiel et trouve sans doute son origine dans la volonté du studio de renforcer son aspect robotique attendu par un public adolescent. Mais à mesure que le film rejette l’humanité du personnage d’Alex Murphy, nous commençons à notre tour à nous détacher émotionnellement de celui de Robocop. Robocop 2 s’attaque à la culture du politiquement correct et se moque de l’habitude d’Hollywood de diluer les concepts originaux dans des concessions faites au public familial. Ainsi Robocop reçoit des centaines de directives pour en faire un meilleur « modèle » pour les enfants (les auteurs anticipant à l’avance les plaintes des ligues parentales dont l’influence sur la culture populaire devient prépondérante dans les années quatre-vingt-dix) qui finissent par le rendre inutile pour lutter contre le crime. Mais là encore, ce développement est de courte durée, Robocop se libérant de cette programmation en quelques minutes. Bien que l’histoire ait du sens sur le papier, la structure narrative est trop saccadée, le film finit par ressembler à un montage d’épisodes d’une série télévisée (Robocop contre Caine, Robocop contre OCP, Robocop et sa femme, Robocop vs Robocop 2) enchaînés pour en faire un long métrage.


Faute d’une ligne narrative forte, le film offre un échantillon de thématiques souvent survolées. On passe trop de temps, sur les projets d’OCP pour prendre le contrôle de la ville et leurs problèmes pour remplacer Murphy, des intrigues là encore satisfaisantes sur le papier mais où le personnage de Robocop / Murphy n’est qu’accessoire. À tout le moins, l’action est toujours d’une violence extrême à la manière du premier, sans être aussi imaginative. RoboCop 2 marque des points en allant encore plus loin dans sa critique des corporations ainsi le « vieil homme » (Dan O’Herlihy) dirigeant de l’OCP bienveillant en apparence dans le premier film, devient ici l’antagoniste principal. Une scène dans son bureau révèle une photo le montrant serrant la main de Ronald Reagan dont il est un avatar cette fois-ci ouvertement maléfique. Alors que dans le film de Verhoeven la criminalité de la rue rencontrait la criminalité en col blanc via la relation mutuellement bénéfique entre Clarence Boddicker et Dick Jones, RoboCop 2 tente de faire valoir le même point de vue au travers d’une configuration plus complexe. Ici, les criminels tentent de libérer la municipalité de Detroit des griffes d’OCP en lui donnant suffisamment d’argent pour rembourser leur énorme dette à la condition que la production et la distribution de Nuke deviennent légales. Une fois encore Robocop 2 présente cette notion intéressante pour l’abandonner immédiatement quand dépêché par l’OCP Robocop 2 (le personnage) élimine presque toutes les personnes impliquées au moment où elle est exposée. Beaucoup trouvent que Caïn est un méchant terne, certes, il n’est pas aussi amusant et développé que Clarence Bodicker et nous ne passons pas assez de temps avec lui pour vraiment le connaître mais son aspect de gourou à la Charles Manson et l’étrangeté de Tom Noonan (Manhunter, Last Action hero) font de lui un adversaire effrayant. Dès qu’il tombe entre les mains d’OCP, il devient un pion jusqu’à ce qu’il se rebelle contre leur contrôle à la manière de King Kong se libérant de ses chaînes pour semer la destruction. La référence n’est pas innocente puisque le combat final entre Robocop et Robocop 2 (signé Phil Tippett) est un tour de force du stop-motion (animation image par image) qui évoque aussi bien Ray Harryhausen que les comic-book. Impossible de ne pas être enthousiasmé par la vision d’un Robocop accroché au dos d’une monstruosité robotique. Malgré toute sa violence (dans cet été 1990 ultraviolent seul Die Hard 2 sera plus meurtrier avec ses 162 morts contre 58 pour Robocop 2 qui ne bénéficie pas d’un crash aérien), le film a un ton beaucoup plus ouvertement comique que le premier et sous l’influence de Frank Miller sa science-fiction est beaucoup plus « pulp » comme cette scène où l’on voit le cerveau, la colonne vertébrale et les globes oculaires désincarnés de Caïn dans une cuve de liquide bouillonnant. Il y a une dimension ironique à voir que le cyborg de remplacement de l’OCP ne fonctionne que lorsqu’ils assassinent son hôte réticent plutôt que d’attendre qu’un candidat plus approprié se présente naturellement. L’OCP comme Orion Pictures forcent leurs Robocop 2 respectifs à entrer en production avant qu’il ne soit prêts et les résultats sont « compliqués ».


Le personnage Hob (incarné tout en gomina par le jeune Gabriel Damon) fut également très critiqué à la sortie du film, public et critiques trouvèrent cet enfant ultra-violent et grossier de mauvais goût. Quand on voit la quantité de personnages d’enfants dans le film, en particulier les enfants de criminels (le junkie nourrissant son bébé dans les premières scènes), on peut supposer que les auteurs ont voulu montrer à quel point l’innocence est inévitablement corrompue par une société aussi tordue. Si voir un préadolescent jurer comme un personnage de Tarantino a un effet comique, le film suggère qu’il n’a sans doute pas eu le choix au regard de son environnement et de son éducation. La séquence où un indicateur est littéralement disséqué par les criminels est révélatrice : Caïn force le garçon soudainement plus si « dur » à regarder le carnage malgré son horreur. La scène n’est alors pas jouée au second degré, elle est dégoûtante et effrayante renvoyant au spectateur des échos du meurtre de Murphy dans l’original. Cependant, la prise de contrôle soudaine par Hob des opérations de Caïn parait plus improbable, même dans un univers aussi exagéré et l’évolution du personnage après la scène de torture est irrégulier. Il devient de plus en plus cruel, pour finalement que sa mort tente de jouer sur le pathos. C’est justement parce que son évolution n’est pas correctement construite que sa mort n’a pas l’impact qu’elle aurait pu avoir, ce qui est un problème plus important encore que la violence du personnage. Mais le développement de ce dernier a dû être victime de la production compliquée du film. Le personnage de Robocop, en lui-même n’est pas sympathique par nature, il est froid, stoïque, peut à peine bouger. Le premier film contournait cet écueil en se concentrant non seulement sur la créature, mais aussi son créateur, Verhoeven laissant son Robocop montrer une réelle émotion avant même d’enlever son masque. Ici, si nous avons droit à une version alternative amusante du personnage (le RoboCop « poli ») mais peu souvent à ses émotions ou ses motivations. Alors que les producteurs avaient rejeté le script initial car il se débarrassait des personnages secondaires du premier film, l’officier Lewis toujours incarnée par Nancy Allen apparaît ici purement accessoire là où il était essentiel dans le premier film rattachant Murphy a son humanité (Allen et Kershner auront des relations détestables sur le tournage, ce dernier limitant son rôle à la portion congrue). Les nouveaux personnages, tous plus effroyables les uns que les autres, du Dr Faxx (incarnée par Belinda Bauer) une psychologue ambitieuse déterminée à impressionner ses patrons en perfectionnant RoboCop 2 – ce qui la conduit à choisir Caïn comme le candidat parfait – à l’agaçant Maire Kuzak (Willard Pugh) (un personnage irritant qui se veut la caricature de Marion Barrie maire de Washington pris sur le vif par le FBI en pleine consommation de drogue) aucun ne vient compenser l’humanité de Lewis. Même l’assistant du vieil homme Donald Johnson (Felton Perry) prend ici un tour plus sinistre à l’image de son patron.


RoboCop 2 souffre aussi parfois d’un aspect plus cheap que le précédent, son Detroit semble plus limité, beaucoup de scènes se déroulent dans les mêmes friches industrielles abandonnées. Rob Bottin créateur de l’armure de Robocop n’est plus impliqué et c’est Chris Walas (La Mouche) qui prend en charge les effets de maquillage, malgré son talent – il bâtit une réplique animatronique bluffante de Weller pour les séquences où Robocop est démembré – et sans doute pour des questions de budget, l’armure de Robocop apparait plus légère et trop brillante. La photographie de Mark Irwin (La mouche, Scream) trop plate n’a pas la profondeur de celle de Jost Vacano. Mais le point le plus inexplicable (et impardonnable) est l’abandon par le compositeur vétéran Leonard Rosenman (Barry Lyndon) des thèmes puissants de Basil Poledouris . Pourtant habitué à succéder à de grands compositeurs (à James Horner sur Star Trek IV : Retour sur Terre ou Jerry Goldsmith sur Le Secret de la Planète des Singes, il substitue au thème majestueux de Poledouris un nouveau thème pour le personnage où les percussions sont accompagnée d’une salve de trompettes avec des chœurs féminins entonnant « Robocooooooop » qui bascule dans le ridicule. Pourtant en dépit de ses nombreux défauts et de sa structure dispersée, RoboCop 2 reste une suite plus qu’honorable, qui sans parvenir à atteindre les hauteurs du précédent (un chef-d’œuvre du genre) à su en conserver l’esprit mordant. Si on le compare au RoboCop 3 de Fred Dekker qui fera prendre à la franchise un virage tout public (sans Peter Weller), cette première suite est presque un autre Empire contre-attaque…

PatriceSteibel
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le 28 janv. 2021

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