Sarah Gavron s’est forgé une image à travers ses précédents longs-métrages, à commencer par « Rendez-vous à Brick Lane » qui opposait la femme à sa propre culture et au bonheur interdit, puis dans « Les Suffragettes », qui défendait fièrement les droits civiques de la gente féminine d’un Londres du XXème siècle. A présent, la réalisatrice britannique revient sur les chroniques de l’adolescence, où ses héroïnes sont en perte de repères et dont l’une d’elles va devoir en assumer les responsabilités. Mais outre cette spécificité, le film ponctue l’apprentissage et l’associe à un rythme indécent, ne laissant même plus l’enfant profiter de sa jeunesse et de son insouciance. On le projette plus vite dans un univers d’adulte, car les enfants appréhendent plus rapidement l’environnement hostile qui les entoure, mais avec le soupçon de générosité et de bravoure nécessaire, afin d’illuminer ce parcours à la fois authentique et caractéristique d’une société britannique normée.


Loin d’être féministe, ce drame social arpente les déboires d’une Shola (Bukky Bakray) balancée entre plusieurs conflits, allant de la maternité revendiquée à une démarche plus collective, enfantine mais sincère. Seule pour s’occuper de son frère cadet Emmanuel (D'angelou Osei Kissiedu), elle finit par le prendre sous son aile dans un petit jeu imaginaire, mais la féerie a ses limites, car la combativité de la sœurette prendra une forme tantôt audacieuse, tantôt corrosive, d’où son surnom « Rocks ». Elle tient d’ailleurs à repousser l’échéance de ce dysfonctionnement familial, en optant pour la discrétion au détriment de la fidélité, car elle ne manque pas de camarades pour lui venir en aide ou pour simplement l’accompagner dans ses tourments. Entre diversité culturelle et sociale, la ville qui abandonne sa population à leur sort et à leur problématique et apparaît cruellement passive face à l’incertitude d’une vie de vadrouille et de survie.


La place des filles permet également une visibilité qui se fait rare sur les écrans. Rocks, connue pour ses maquillages finit par être repoussée de celles qui en ont grandement besoin, pour cacher une vulnérabilité. C’est pourquoi, des amies comme Sumaya (Kosar Ali) incarnent la raison, malgré une culture qui la confine. A l’opposé, Roshé (Shaneigha-Monik Greyson) illustre toute la facilité d’une enfance aisée et qui alimente son manque de sagesse par l’excès, rien d’amer, mais compréhensible. Quant à Agnes (Ruby Stokes), elle symbolise la souche britannique, trop confiante en ses institutions. Et il suffira de se fier aux premiers instants du film, qui évoque la solidarité et l’amitié comme la meilleure des évasions. C’est ce que l’on démontrera avec justesse dans un dénouement qui souligne la vivacité et l’indépendance de jeunes filles qui n’ont pas besoin de hurler au désespoir, elle en rit de rage et elles avancent avec, sur un rythme de chant ou d’une danse expressive.


Si certains peuvent y voir du Ken Loach, ou un certain « Mustang » de Deniz Gamze Ergüven, l’approche paraît pourtant moins brutale et résonne davantage avec un goût de la vie qui permet de flirter avec la frontière du lyrisme. L’apprentissage scolaire, selon Gavron, s’articule alors comme son discours qui appelle à relativiser les critères de sélection, de norme et de mode de vie, qui se confrontent bien trop tôt chez des adolescentes et qui peuvent les détruire rien qu’en y pensant fortement. « Rocks » pose ainsi son héroïne sur la stèle bouleversante de la maternité, sans pour autant la sacrifier aux mains des services sociaux. C’est la proximité avec l’univers de collégiens et lycéens que le film trouve le bon ton, les bons mots et les bonnes intentions, afin d’exploiter avec l’émotion avec fougue et mélancolie.

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le 31 août 2020

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