A HAUTEUR DE POULE
Par temps caniculaire, quand vous êtes écrasé par la chaleur, une salle de cinéma est le plus agréable des refuges. Légèrement climatisée, sans ouvertures sur l'extérieur, pénombre puis obscurité, elle est un véritable havre de quiétude. A la tranquillité de l'âme s'ajoute très vite une tranquillité de l'esprit surtout si vous êtes venus à la première séance et si vous avez eu le temps de vous glisser paisiblement dans les lieux. Elle est un sas entre le tumulte du monde réel et l'imaginaire qui va s'offrir à vous. Vous êtes dès lors disponible et même bienveillant pour accueillir le film que vous avez choisi de voir.


Roxane est charmante et sa présence de tous les instants nous séduit. Raymond est éperdu de tendresse pour elle, elle est attentive, vive et si affectueuse que nul ne peut être insensible à son charme...C'est une poule, une vraie poule au sens propre, un volatile donc, et elle le suit pas à pas. Raymond élève des poulets...pardon... il élève des poules qui pondent des œufs que la famille recueille quotidiennement avec respect et délicatesse. Il ne manque jamais de s'adresser à elles pour les remercier de l'effort consenti et les invite ensuite à se rassembler autour de lui pour une séance de lecture quotidienne de Cyrano de Bergerac qu'elles semblent vraiment apprécier. Ce cérémonial se déroule sous l'oeil attentif de Roxane à qui Raymond a donné le prénom de l'héroïne de la comédie d'Edmond Rostand.


Pour avoir côtoyé dans mon jeune temps les quelques poules que ma grand-mère élevait avec soin et amour, je sais combien ces aimables animaux de basse-cour en apparence un peu stupides sont toute de tendresse et de curiosité faites. Il en est des poules comme des vaches, elles cachent bien leur jeu. J'en ai gardé une amitié profonde pour ces volatiles et je pousse mon amour pour elles jusqu'à les manger, ce dont je m'excuse humblement devant l'espèce. Le lion de la savane n'est pas un être cruel qui rêve du matin au soir des multiples supplices qu'il pourrait encore inventer et infliger à la gazelle, il la chasse et la mange quand il a faim parce que c'est sa nature de carnassier qui le pousse.


Je suis allé voir Roxane, le film éponyme de Mélanie Auffret, j'ai aimé son film. J'étais attendri par les personnages humains et les gallinacés, le ton des uns comme des autres était juste. Pendant un court instant, j'ai pensé au délicieux Chicken Run des réalisateurs Nick Park et Peter Lord, comme si je me faisais un clin d'oeil à moi-même. Puis j'ai partagé le plaisir de Guillaume de Tonquédec (Raymond) tout en souriant intérieurement jusqu'à sentir une larme de bonheur embuer mes lunettes.


Enfin apparut Wendy, une professeur de littérature de nationalité britannique à la retraite. Sa fraîcheur, son humour, sa pétulance et sa joie de vivre ainsi que son accent so british au service de Rostand et de Molière m'ont mis de bonne humeur et en un instant les sinistres brexisters ont sombré dans les oubliettes de l'histoire. Que Wendy fasse surtout part à ses amies et amis restés au pays, que si la vie devenait trop insupportable quand le lamentable Boris Johnson et son complice Nigel Farage auront fait quitter l'Union Européenne à leur pays, ils seront les bienvenus sur le continent et nous continuerons à rire ensemble en vidant quelques chopines de Guiness dans un pub irlandais.


Pendant tout le film j'ai eu un regard de poule : j'ai regardé le film comme le ferait une poule. Saviez-vous que le champ de vision de la poule est de 300° alors que le nôtre n'est que de 180°? Saviez-vous que la mise au point de son œil droit n'est pas la même que celle de son œil gauche et que cet animal peut utiliser ses yeux de manière différenciée ? La vision de près est meilleure pour son son œil droit alors que celui de gauche voit mieux au loin. Le premier sert donc à picorer les grains et à déterrer les vermisseaux et le second à repérer le prédateur qu'il soit en vol ou tapi dans les herbes hautes.


Vision au plus près de la vie quotidienne paisible d'un poulailler et de ses alentours mais toujours un œil sur ce qui pourrait être la fin de tout : la fin de l'oeuf à la coque, de l'omelette aux fines herbes ou de l'oeuf sur le plat avec une petite pointe de harissa sur son jaune mais également la fin d'une ferme avicole qui ne ressemble pas à un camp de concentration. La fin également d'une forme d'excentricité qui fait le bonheur de l'éleveur, de sa poule préférée, des poules pondeuses et du cinéphile par ailleurs amateur d'oeufs qui ont un goût d'oeuf.


Roxane n'est ni la résurgence d'un naturalisme nostalgique, ni une bluette bucolique. La prédation et les prédateurs rôdent. Les éleveurs n'élèvent pas leurs poules pour passer le temps ou amuser les citadins de passage. Leur élevage est leur gagne-pain comme le prêt d'argent est celui du Crédit Agricole. La coopérative agricole est un regroupement de producteurs qui pensaient être ainsi plus efficaces dans les négociations du prix de vente de leur production face à une grande distribution dont les actionnaires se soucient de la qualité d'un produit comme d'une guigne.


Peu leur importe la survie de celui qui n'est pour eux qu'un archaïque personnage en bottes de caoutchouc avec un chapeau de paille effrangé qui pourrait éventuellement se reconvertir en épouvantail pour tenir à distance...les prédateurs. La coopérative que les producteurs voulaient comme l'incarnation de leur force baisse elle-même les bras et cède aux injonctions de la loi du meilleur profit avec la complicité de certains producteurs qui se rêvent en loups alpha avant de s'entredévorer.


C'est de tout cela que traite Roxane. Du micro-plan nous passons à la macro-économie pour revenir à une solution des plus simples au niveau des hommes et à hauteur de poule dont l'avis n'est que trop rarement sollicité. Je suis allé voir ce film, il n'a pas seulement alimenté mon sourire intérieur, il m'a mis de belle humeur et j'en profite pour faire un signe amical à sa réalisatrice en l'invitant à continuer son cinéma de son doigt de fée.

Freddy-Klein
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le 28 juin 2019

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Freddy Klein

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