Réussir à rendre toute la vie et toute la dignité aux siècles passés est quelque chose de bien difficile pour une époque imbue d'elle-même. De faits historiques passionnants, on ne parvient qu'à faire un prêchi-prêcha bête et manichéen.
En premier lieu, bien sûr, ce qui pèche c'est la façon de penser et de jouer les personnages. Comme souvent, le caractère de l'époque traitée s'efface derrière des sentiments modernes anachroniques — ou, plus exactement, derrière une façon d'être fantasmée, irréelle, toute naïve et enfantine. Filmer le XVIIIe siècle exige une certaine rigueur, un certain classicisme, une certaine retenue, précisément à l'image de l'étiquette prévalant dans la société d'alors et que critiquaient, justement, les libertins.
Royal Affair est de ce côté-ci à côté de la plaque. La mise en scène ou le montage frôlent parfois le ridicule. Les personnages ont des réactions sur-réalistes, parfaitement inappropriées à la situation, à leur rang et à leur époque. Cette musique incessante, constamment à dramatiser, n'aide pas à rendre le film subtil. Pas plus que la façon de présenter les relations entre les personnages, leurs sentiments réciproques, et moins encore la façon dont s'annonce le drame : les ficelles sont grosses, comme les mains gauches et balourdes qui ont écrit ce film.
Il me semble que la politique est quelque chose d'assez sérieux. Ceux qui font de la politique ne s'avouent pas vaincus face à leurs adversaires dans un souffle pathétique : « ils nous détestent ! » C'est fascinant : lorsque l'on entreprend de souligner le rôle parfois un peu oublié des femmes dans l'histoire, il faut toujours que l'on en vienne, vraisemblablement malgré soi, à ne produire d'elles que des caricatures éculées de niaiserie !
Mais, de toutes façons, c'est un mal qui touche l'ensemble des personnages du film. Sauf, éventuellement, le roi... précisément parce qu'il est fou !
Le caractère sérieux des évènements a du mal à s'imposer. Le parti de Struensee (Mikkelsen), favorable aux idées des Lumières, est comme parfaitement pur, injustement attaqué par de méchants personnages sans foi ni loi, cruels jusqu'au bout, aux motifs par ailleurs nébuleux. C'est que le XVIIIe siècle est un âge terriblement obscur, ce que la réalisation ne se prive pas de faire comprendre subtilement au spectateur dès que l'occasion s'en présente. Les gens au XXIe siècle ne vont pas à l'école : il faut donc qu'on leur explique tout, lourdement, péniblement...
Voilà le travers typique du film historique d'aujourd'hui : c'est bien trop souvent un film éducatif. Il faut délivrer un message, stupide et grossier si possible, en bricolant vaguement quelque chose autour qui essayera autant qu'il pourra d'être artistique. Il faut absolument rappeler au spectateur ce qui est bien et ce qui est pas bien, au cas où il ne pourrait pas en juger par lui-même. Quant à être réaliste et crédible, c'est dispensable ; d'ailleurs, plus c'est gros, mieux ça passe. Le quidam un peu éduqué mais pas trop, offert au reflet de sa propre vanité morale, trouvera même que le prêche a eu de l'esprit. Ce qui est bien naturel !
Pour ne retenir que cet aspect, l'opinion de la reine et de Struensee sur le rôle de l’État concernant la santé n'a absolument rien de nouveau en 1770. En France, tout du moins, la monarchie a pris en main, depuis le règne de Louis XIV, le développement des hôpitaux et des orphelinats afin de réduire autant que se peut la mortalité. Il n'y a pas, d'un côté, des privilégiés moyenâgeux refusant toute modernité et, de l'autre, des libre-penseurs progressistes pleins de bonté, comme si les idées des Lumières n'avaient pénétré en rien la société de l'époque, comme si elles étaient restées parfaitement marginales et occultes... avant de subitement triompher à la Révolution française, comme par opération du Saint-Esprit.
Sur un thème très proche, avec Que la fête commence, Tavernier a su faire bien plus subtil et bien plus esthétique, tout en parvenant à porter un message très clair (mais ambigu, car prenant du recul sur l'histoire) et à très bien restituer l'atmosphère de l'époque.