Boire, fumer, conduire vite
Rush est l'histoire de la rivalité entre deux pilotes de F1, Niki Lauda et James Hunt, entre 70 et 76. Le pitch ainsi énoncé peut laisser froid tous ceux qui, comme moi, se foutent pas mal de la F1. Or, ce désintérêt est balayé dans les premières minutes du film, lorsque James Hunt explique son succès auprès des filles par sa proximité avec la mort, convenant lui-même de l'inanité qu'il y a à regarder des voitures tourner en rond. C'est donc tout à fait rassurée sur ce point à partir de cette réplique que je me suis laissée conquérir par le film. Niki Lauda, je connaissais, comme tous les gens de mon âge. Dans les années 70-80, certains dimanches après-midi pluvieux, le F1 était la seule alternative à Dimanche Martin. Niki Lauda portait sur son visage les traces effrayantes de brûlures, les stigmates de son sport, et me fascinait ; la façon dont il semblait n'avoir que foutre de cette apparence avait quelque chose de vraiment punk. James Hunt, aucun souvenir, et pour cause: le film m'apprendra que sa carrière fut celle d'une étoile filante dans la F1.
Donc, Rush montre deux personnages, deux opposés. Hunt, un Anglais licencieux, buveur, beau gosse, queutard, un chien fou ; et Lauda, un Autrichien froid, cérébral, technique, austère au physique ingrat. Un tel antagonisme pourrait confiner à la caricature, mais le décor 70's fonctionne et fait assumer cet effet de surlignage des caractères présentés. C'est d'ailleurs pratique pour tout un tas de raisons, le contexte des seventies. C'est du film en costumes pas cher, il suffit de fouiner dans les vieilles malles de mémé. C'est vintage, donc chic. On est dans la parenthèse enchantée, ce qui légitime des scènes de sexe décomplexées. Les personnages ont le droit de fumer tout le temps, partout, ils boivent, ils conduisent vite et personne ne les emmerde. Sur ce point, Rush est un bras d'honneur jubilatoire à la Santé Publique.
Dans Rush, outre l'utilisation d'archives vidéo et l'extrapolation judicieuse de leurs contrechamps, la photo a un aspect très instagram. Elle reproduit donc non pas l'apparence de la vidéo en 76, mais l'idée que l'on se fait dans les années 2010 d'une photo prise en 76. De ce point vue, Rush est un film néo-hyperréaliste.
Hunt et Lauda sont une dualité, les deux faces d'une pièce de monnaie. Physiquement, Lauda est Hunt en moche et Hunt, Lauda en beau. Il y a entre eux une ressemblance qui persiste, accentuée par la combinaison de pilote, et c'est finalement ce qui appuie la comparaison. Rush est construit de sorte qu'il ne penche ni pour un mode de vie ni pour l'autre, sachant que les deux hommes sont complémentaires. Je trouve que Daniel Brühl fait quelque chose de très intelligent dans son interprétation de Niki Lauda. Il ne cherche pas à le rendre attachant, ni foncièrement antipathique, il renvoie très bien son imparable logique, et endosse le rôle le moins sexy. Rush est frappant dans la façon dont il arrive nous faire ressentir l'asphyxie, la brûlure, jusqu'à la sensation de déchirure d'une bande de gaze sur une plaie. Il nous laisse nous interroger sur ce tic de Hunt qui joue avec son Zippo (l'odeur d'essence?), sur sa dépendance physique à la course. Rush réussit, dans les derniers tours, à faire retenir son souffle, donner la trouille et le vertige au spectateur le moins fan de F1 du monde. C'est donc un très bon film, qu'il faut absolument voir en VO, ne serait-ce que parce qu'on y parle l'italien, l'allemand, l'anglais et le français.