Entre envie de capitaliser sur ce qui ne marche pas si facilement quand on sait le faire à peu près bien, et besoin de plaire aux spectateurs sans briser le contrat tacite qu’on a conclu sur son image, un acteur abandonne parfois une partie de sa carrière à l’actioner populaire. C’est peut-être Belmondo qui inventa le modèle, mais comme Eastwood se consacrant à la réalisation après Dirty Harry, il revint ensuite au théâtre. Or Liam Neeson, jusque-là hésitant entre cinéma de genre avec Darkman et cinéma d’auteur avec Schindler, tomba dans le piège Taken et son coefficient neuf de rentabilité. Depuis, son nom est devenu une marque ou peu s’en faut, comme si l’acteur et son rôle décliné dans diverses suites et imitations avaient fusionné, et formaient désormais une seule et même personnalité à vendre, au point que le slogan de son incursion au Canada sous-entend presque l’existence d’un sous-genre : « de loin le meilleur film où Liam Neeson tue tout le monde. »


D’abord c’est faux, Liam Neeson ne tue pas tout le monde ou du moins pas tout seul, dans ce film à la nervosité en accordéon, mais prend le chemin d’une vengeance pour se retrouver à la partager avec un autre père ayant perdu son fils. Et cet autre père est la bonne idée car il est le chef de gangsters indiens au décorum décalé, mais aussi l’ancien qui découvre dans une boutique des souvenirs utes à l’étiquette made in China. Si Neeson tue quand même et tape à casser des dents, il ne cache pas son âge mais le plus surprenant est le ton, hésitant presque entre Kill Bill et Fargo avec quelques accords majeurs-mineurs, lorsqu’un corps à la morgue ou un cercueil sur un hayon sont soulevés avec une lenteur contraire aux codes du film d’action. Et puis la photographie donnant du clair au méchant et du sombre au gentil, la musique interdisant la pop aux personnages qui en voudraient, et même la conclusion refusant l’aube ou le salut à celui qui préféra s’envoler, toutes ces petites choses inattendues sans être exceptionnelles font corps autour de cet acteur capable de jouer les chiens battus mais dangereux, et dont c’est peut-être là le Gran Torino.


Pour public averti (que cette tuerie doit être la « der des ders » pour Neeson, comme il l’avait annoncé avant même de déraper lors de la promotion) : Cold pursuit (2019) de Hans Petter Moland (qui rejoint ainsi la courte liste des réalisateurs ayant dirigé le remake d’un de leurs propres films), avec aussi Laura Dern (qui n’avait pas pu sauver à elle seule l’Episode VIII) et Tom Bateman (qui rejoindra Branagh et son Poirot pour le chapitre II)


Avis publié pour la première fois sur AstéroFulgure

Adelme
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le 27 févr. 2019

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