When you get the money, you get the power... - Part 1

85 ans après sa sortie, Scarface reste un film incroyablement intéressant dans sa vision de l'Amérique des années 30. Quand on veut étudier l'Histoire de l'Amérique, il n'y a rien de mieux que de lire les récits de telle ou telle époque (Huckleberry Finn, Grapes of Wrath) ou les films relatant d'une certain époque. De plus, c'est un film qui, malgré son âge, possède des couilles en acier trempé, autant pour l'époque qu'aujourd'hui.



La Grande Dépression et l'Avènement du Code Hays



L'argument des films représentant une époque est contestable bien entendu : les westerns classiques réussirent, en partie, à réécrire le passé de l'Amérique en cachant, voire en justifiant, le génocide amérindien. Les films de gangsters de l'âge d'or (une bonne partie des années 30) ont aussi une valeur de film de propagande malgré son sujet tabou : la Grande Dépression et l'Avènement (et surtout la Chute) des Gangsters.


En effet, ces 2 sujets sont étroitement liés puisque c'est cette Grande Dépression qui créa le film de gangsters. La Prohibition montra aux gens que l'on pouvait se faire beaucoup d'argent illégalement en ces temps troublés où le chômage atteignait des taux records et où la pauvreté extrême fut le quotidien de millions de gens. D'où le code Hays à Hollywood pour empêcher d'honnêtes Américains pure souche de faire la même connerie que ces fumiers d'Irlandais et de Ritals (le code savait s'amuser durant l'âge d'or).


Le code Hays est une sorte de liste de règles morales que tout grand studio de l'époque se devait de suivre. Il était sensé déclarer ce qui était acceptable ou non à regarder pour le public américain. Will Hays était le président de ce comité (alors appelé la Motion Picture Producers and Distributors of America) de 1922 à 1945, mais ces règles furent appliqués entre 1930 et 1968 (date de l'Avènement du Nouvel Hollywood). C'est en 1934 (donc 2 ans après Scarface) que le code se durcit davantage. Ce n'est qu'après 1968 qu'il fut remplacé par la MPAA tel qu'on le connaît aujourd'hui.



Un peu de censure dans ce monde de Bisounours



Même si Scarface fait partie de la période pré-code (tourné en 1931), on peut tout de même dire que le choc fut rude pour le comité de censure. On demanda à Hawks de rendre le film moins violent et de changer le scénario (du genre radicalement) : dans le script original, la mère de Tony Camonte acceptait les différents cadeaux que lui faisait son fils, acceptant le fait que celui-ci est un gangster (et une pourriture par la même occasion) ; la relation incestueuse entre Tony et sa sœur fut presque éliminée (elle reste palpable néanmoins), etc...


La fin aussi fut presque modifiée par Hays (Tony Camonte se rend à la police puis, est jugé et pendu, la justice triomphe et la loi est totalement respectée) mais elle fut refusée pour différentes raisons (l'une d'elle étant Paul Muni qui refusa de tourner cette fin, d'où le fait que l'on ne peut voir son visage). La fin officielle reste donc celle que l'on voit dans le film, une fin que la censure n'a pas du tout appréciée (glorification du gangster toussa toussa).


Évidemment, Hays refusa que le film sorte tel quel et demanda encore plus de modifications (aka plus de censure). Il rajouta même un texte d'introduction condamnant les gangsters et un sous-titre sur l'affiche du film : Shame of a Nation. Il faut, je pense, particulièrement remercier deux personnes pour avoir osé sortir le film tel qu'on le voit aujourd'hui : Howard Hawks, le réalisateur et producteur, et Howard Hughes, le producteur.



L'impossible Monsieur Hawks



Howard Hawks, grand réalisateur qu'il est, dû se débattre violemment avec la censure, le comité Hays ET les studios pour faire son film. Ces derniers ne voulaient pas que leurs vedettes fassent ce film. Hormis Paul Muni qui était déjà un acteur confirmé (même si ce n'était que son 3ème film), Hawks réussit à faire d'Ann Dvorak (qui eu une aventure avec lui, consentie pour changer) et George Raft (qui ont chacun eu plusieurs seconds rôles mais n'avaient, malgré tout, que peu d'expérience) un triangle amoureux qui fonctionne parfaitement, avec une impressionnante alchimie qui les unit. Mais c'est surtout George Raft qui attira l'attention. Pourtant son jeu d'acteur, si l'on en croit Howard Hawks, laissait vraiment à désirer. Afin de masquer son manque d’expérience, il donna une pièce à Raft pour qu'il la lance en l'air et la rattrape sans la regarder (ce que l'on voit dans le film). Ce trait de caractère en a fait un personnage iconique et devint la définition même du gangster classique (avec de nombreux autres acteurs, ne nous limitons pas qu'à lui) et ne pu se dépêtrer de cette image. Hormis son rôle de chauffeur dans They Drive By Night, il n'est connu QUE pour ses rôles de gangster (comble de l'ironie, il reprit le coup de la pièce pour un autre rôle plus tard).


Avec Scarface, Hawks s'autorisa à essayer de nouveaux éléments assez novateurs pour l'époque. Il y a tout d'abord les fusillades en pleines courses poursuites en voiture, une première pour l'époque. Et il y a aussi (et surtout) le motif X. Celui-ci apparaît avant chaque mort, permettant au spectateur d'appréhender l'inévitable. Le premier exemple est l'ouverture du film, un plan-séquence démarrant par une croix et se finissant sur la mort d'un gangster. Mais le plus évident se trouve être la cicatrice en forme de croix de Tony, qui annonce son destin fatal. On retrouvera souvent cette technique, notamment dans le Scarface de De Palma, où c'était la couleur rouge qui prévenait de la mort imminente et violente d'un personnage (il existe de nombreux exemples mais le plus évident reste le papier peint rouge qui recouvre l'intégralité de l'intérieur de la villa de Tony, annonçant le bain de sang final).


Howard Hawks eu aussi à se démener de plusieurs problèmes sur le tournage (en plus du comité de censure qui commençait vraiment à les lui briser menue). Divers accidents s'y produisit (notamment la blessure à la tête de George Raft) dont un qui aurait pu finir de manière bien plus tragique. Pendant que Hawks tourna une scène au Harold Lloyd Studio, le frère du propriétaire visitait le plateau et a reçu une balle réelle dans l’œil... Il survécut mais, en toute logique, perdit un œil. Cet accident me permet néanmoins de faire un petit paragraphe sur le milliardaire fou : Howard Hughes.



Y a-t-il un pilote dans l'avion ?



Ce taré fou furieux d'Howard Hughes... Probablement le milliardaire le plus connu de l'Histoire du Cinéma (voire de l'Histoire tout court), rendu totalement fou par son excentricité et son trouble obsessionnelle compulsif. Ses premières productions ayant rencontrée des succès monstres, aussi bien commercial que critique, il se mit à dos plusieurs grands studios, lui, le petit producteur indépendant. Bon en même temps, la Warner venait d'acquérir la société où travaillait Hawks, la First National Pictures, et Hughes arrive et embauche Hawks pour faire Scarface. Comme ça (et je vous raconte pas les démêlés judiciaires qui ont suivi...).


Producteur du film avec Hawks, il lui présenta une série de caprices tels que : toutes les fusillades doivent être tirées à balles réelles. Juste ça... Et vu que Hays n’arrêtait pas de les lui briser pour changer le script, il demanda expressément (pour ne pas dire ordonné) à Hawks ceci :



Screw the Hays Office, make it as realistic, and grisly as possible.



Autrement dit : Rien à foutre de Hays, fais-en un film aussi réaliste, violent, sale et grisant que possible.
Des bollocks en acier trempé j'vous dis.


Suite à un très long bras de fer entre Hawks / Hughes et le comité Hays / la censure, le film sorti en 1932, soit un an après The Public Enemy et Little Ceasar (les autres piliers fondateurs du genre, sortis consécutivement en Janvier et Avril 1931) alors que le tournage fut bouclé depuis Septembre 1931. Ce fut une sortie limitée et peu de gens purent le voir. Il faudra attendre 1980 et l'achat des droits du film par Universal pour voir (enfin) une sortie digne de ce nom sur le territoire américain. Il fait maintenant parti du Top 10 des films de gangsters par l'American Film Institute aux cotés de, justement, Little Ceasar, The Public Enemy, Le Parrain ou encore le Scarface de Brian de Palma. Ces 3 films fondateurs sont des classiques absolus qui méritent d'être vu puisqu'ils offrent une vision assez dévastatrice et violente de l'Amérique des années 30. Cependant, seul Scarface réussi à transformer les gangsters en figures mythiques, en élément important de la culture populaire américaine.
N'est-ce pas contradictoire avec ce que voulait installer le code Hays ? Le film d'Howard Hawks (n'oublions pas ce fou furieux de Howard Hughes) est provocant, violent, réaliste, sale, amoral et j'en passe. Il aura fallu une poignée d'hommes courageux pour contrer la censure. Le résultat ? Une censure plus agressive pour les 30 années suivantes. J'adore Scarface et ce qu'il a apporté au genre de manière provocante, mais je ne peux m'empêcher de penser à cette conséquence qui a touchée TOUT le cinéma hollywoodien. Étais-ce une bonne chose ? Je laisse le plaisir de répondre à cette question aux historiens du cinéma... ou aux plus courageux. Pour ma part, je drop le mic comme l'a fait Hughes (avec moins de classe certes).


… and when you get the power, then you get the women – Part 2

19fox64
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le 20 nov. 2017

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