… and when you get the power, then you get the women – Part 2

50 ans après la sortie du premier Scarface, Al Pacino entra dans un cinéma de Los Angeles, le Tiffany Theatre, vit pour la première fois ce film et en fût émerveillé. Il contacta son producteur d'alors, Martin Bregman à la Universal, et le convainc de l'énorme potentiel et d'en faire un remake. Bregman s'associe avec Sidney Lumet mais le vira peu de temps après (divergences scénaristiques) et le remplaça par Brian de Palma, avec Oliver Stone au scénario. Ce dernier, alors encore en train de lutter contre son addiction à la cocaïne, voyagea avec Bergman jusqu'à Miami pour regarder les rapports de police de la Crim' et du bureau du procureur, et fît aussi quelques voyages seul pour rencontrer des cartels de la drogue.


Les Italiens sont cette fois-ci remplacés par des Cubains afin de coller avec l'époque : Exit la Prohibition et l'abondance d'alcool et bonjour l'ouverture de Cuba et du port de Mariel (ou plutôt l'expulsion de certains de ses ressortissants, idée venant de Sidney Lumet) et le trafic de drogue. Un thème contemporain et une structure narrative tout à fait classique.


Sa colonne vertébrale narrative se retrouve dans plus de la moitié du film de gangsters américain : l'Avènement et la Chute d'un Gangster (héritée de l'âge d'or et du code Hays), ce qui en fait une œuvre tragique et violente rappelant Macbeth (l'Avènement et la Chute d'un Roi). Ça tombe bien puisque le film, de par l’interprétation pleine d'intensité et excentrique d'Al Pacino et ses choix de mise en scène, nous rappelle une pièce de théâtre.



« […] la prestation de Paul Muni était remarquable. Il y avait quelque chose de fondamentalement original dans sa façon de jouer. (…) Ce qu'a fait Muni m'a servi de point de départ. Ça a fourni une solide fondation au rôle, une sorte de canevas. C'était un type d'interprétation que j'avais envie d'explorer. (…) Ça faisait partie du concept que Brian avait en tête : tout faire de manière outrée – que la violence soit exacerbée, que la langue utilisée dépasse les limites. C'est très brechtien dans l'esprit, très théâtral. » Al Pacino dans ses Entretiens avec Lawrence Grobel



Nous retrouvons donc plusieurs éléments qui étaient déjà présent dans la version de Hawks. L'aspect incestueux entre Tony et sa sœur Gina, sensiblement plus voyante qu'auparavant grâce à quelques répliques (« Come on Tony fuck me ! » à la fin du film). Le motif X est, quant à lui, remplacé par la couleur rouge, de plus en plus dominante avant chaque mort violente à mesure que le film avance:



  • dans le camp au début, un bandana rouge sur le front de Montana annonce la mort de Rubenga

  • au Sun Ray Hotel, la chemise rouge de Tony annonce la scène de la tronçonneuse

  • en Bolivie, chemise et mouchoir rouge annonce la mort de Omar

  • l'ambiance rougeâtre dans le bureau de Lopez annonce sa mort et celle de Mel Bernstein

  • l'ambiance rougeâtre du Babylon Club annonce la fusillade

  • Le meilleur pour la fin : le papier peint rouge qui recouvre l'intégralité de l'intérieur de la villa de Tony annonce le bain de sang final


La violence, même si elle est annoncée auparavant, repousse les limites de son époque et, comme le film original, le film eut quelques problèmes avec la censure.



Les Incorruptibles



Tout comme le film de Hawks, ce Scarface connaîtra de nombreux problèmes, non pas avec la censure à proprement parler cette fois, mais par le remplaçant de la censure du Code Hays, la MPAA. Celle-ci est, seulement, sensée classifier tous les films et donner des interdictions d'âge (R-Rated, X, NC-17, PG-13,...). Quand cette MPAA a vu le résultat final, le couperet tombe : X s'il n'y a pas de coupes (Scarface est donc un porno). De Palma fit un second montage, enlevant quelques scènes violentes, mais reçu le même classement. Un 3ème montage fut proposé mais fut lui-aussi rejeté. Le MPAA demanda encore plus de coupes et, De Palma, excédé, lança un ultimatum aux pontes de l'Universal : Soit vous sortez le film tel qu'il est (la 3ème version donc), soit vous me virez.


Long story short, le patron de la Universal fit appel auprès de son pote à la MPAA Jack Valenti (le président en fait), et de nombreux spécialistes (critiques comme Roger Ebert, ou comme le patron de la Crim du comté de Broward en Floride) défendirent le film. Le plus grand propriétaire de chaîne de cinéma aux US déclara qu'un classement R était acceptable tandis que le bureau des classements voulait mettre X mais se rétracta quand ils virent que Valenti n'allait pas les suivre. Donc "tout le monde" vota en faveur du R-Rated.


Brian De Palma, petit filou qu'il est, se dit que si le 3ème montage recevait un R, et que ses coupes furent vraiment minimes, le 1er montage devrait avoir le même classement. La MPAA lui dit, dans ma traduction approximative : « commence pas à faire chier sale privilégié, on t'a vachement aidé alors sort le 3ème montage ». Et en fait, les coupes étaient tellement minimes qu'il leur donna le 1er montage et que tout le monde n'y a vu que du feu. La légende urbaine racontant qu'il existe une Director's Cut plus violente du film est donc fausse.



« There’s a lot of controversy about how Scarface was edited, but in reality, everything I cut out to appease the rating board I put back in and that’s what you see. » Brian de Palma en 2013




The Fury



Concernant cette censure, l'impact du film fût tel que de nombreuses légendes entoura le film, surtout pour celles et ceux ne l'ayant jamais vu.


La plus connue étant la scène de la tronçonneuse : beaucoup prétendent que l'on voit la tronçonneuse déchiqueter la chair du pote de Tony dans un gros plan bien frontal. C'est faux bien entendu. De Palma considérait, tout comme son idole Hitchcock, que ne pas montrer la tronçonneuse couper directement la chair, mais plutôt montrer la tronçonneuse puis le visage d'Angel laissait aux spectateurs le plaisir d'imaginer ce qu'il y avait hors-champ : l'intensité de l'effet ne saurait être le même dans le premier cas (pouvoir de l'imagination toussa toussa). Ironiquement, Oliver Stone, en faisant ses recherches en fouillant les rapports de la police de Miami, tomba sur une affaire qui relatait cet incident... De là à dire que la réalité rejoint la fiction, il n'y a qu'un pas.


Une autre scène entra dans l'imagination collective comme étant l'une des scènes les plus jouissives de tous les temps : la fusillade finale. A travers celle-ci, plusieurs personnes pointa du doigt un véritable problème : le fait qu'elle soit jouissive et qu'elle glorifie une sacrée ordure. C'est vrai qu'elle est jouissive, mais pour quelle raison ? Rappelez vous de ce qui se précédait : Tony s'enfile genre une tonne de cocaïne dans le pif. Lorsque la fusillade éclate, l'adrénaline et la coke en lui go over 9000 et Tony, tout comme le spectateur (puisque nous suivons son point de vue), ressent un sentiment de puissance absolue et d'invincibilité. Donc le fait de critiquer cette scène sous l'angle de la glorification de la violence pro-NRA est plutôt ridicule puisque le film ne fait que transmettre par l'image les sensations que procure la cocaïne sous l'influence d'un fort flux d'adrénaline. Et rappelez vous, genre, de tout le film. Hormis la fusillade du Babylon Club qui reste, elle aussi, jouissive (puisqu'il est bourré as fuck et a probablement pris de la drogue), la violence du film est brutale et sale (tronçonneuse ? Mort de Omar ? Et de Lopez, Rubenga et de Mel ?).


Le film est violent, oui. Mais de là à dire que le film n'est qu'un amas de glorification de la violence rien qu'en parlant de la fin tout en critiquant la scène de la tronçonneuse comme étant sale et en l'imaginant plus que de raison... C'est plutôt limite.



Dressed to Kill



Comme certaines personnes le prétendent, il s'agit de cette violence qui fît entrer le film dans la culture pop. Ce n'est pas totalement faux (sa violence était plutôt extrême pour l'époque dans le paysage d'Hollywood) mais c'est un autre point qui le fît entrer dans la légende et qui peut être un véritable problème : l'identification du spectateur envers un ou plusieurs personnages du film, spécialement Tony Montana.


Des années 90 (à peu près) jusqu'à aujourd'hui, de nombreuses personnes issues de minorités vénèrent Tony Montana pour être un immigré partant de rien pour arriver tout en haut de l’échelle sociale de manière violente. Il s'agit du thème principal du film : le Rêve Américain en usant de violence.
Ce film fait partie d'une petite liste : les films qui, quand ils sont mal compris, peuvent être dangereux. A cause de son thème principal, de nombreuses personnes (issues de minorités donc) pensaient que le seul moyen de vivre le rêve américain, c'est de le faire à la Tony Montana : de manière violente, souvent en vendant (et en prenant) de la drogue, arriver au sommet de l’échelle sociale pour palper de la biatch en mode grab them by the pussy (et traiter les femmes de manière dégueulasse).
Bien évidemment il ne faut pas oublier les origines sociales et l'environnement dans lequel ces minorités ont vécues. Choses que l'on retrouve, pas toujours mais souvent, dans le rap US des années 80 et 90 (à son apogée donc) : un aspect pamphlétaire envers la société américaine, les banlieues et les Boyz in da Hood qui y vivent, comment ils ont grandis, les brutalités policières, etc...
Mais au tournant des années 2000 et de l'Avènement du Gangsta rap viril, quelques rappeurs, qui prenaient donc Tony Montana comme une idole, tournèrent la critique sociale propre au rap en cela : des gens issues de minorités, entourés de biatchs, faisant l'apologie d'un monde de luxure acquise de manière douteuse, usant de la vulgarité comme moyen d'expression... Vous vous dites (sûrement) que je ne fais qu'une banale généralité, ce qui est parfaitement vrai, mais il ne faut pas nier l'impact que ce film a eu sur le genre, voire les créateurs du genre. Il est d'ailleurs amusant de savoir que le film eut un tel impact dans le monde du rap que Universal voulait ressortir le film en remplaçant la somptueuse B.O. de Giorgio Moroder par une B.O. gangsta. Brian de Palma déclara que, de son vivant, personne ne changera la B.O. de son film.


Il est encore plus amusant d'entendre le réalisateur émérite dire qu'il est encore étonné du succès et de l'impact que le film a encore aujourd'hui. Dans le documentaire De Palma, on l'entend dire (grosso modo) :



« Scarface est un bon film. Pas un chef d’œuvre. Juste un bon film »



Je vous encourage vivement à regarder ce documentaire, passionnant de bout en bout et intéressant à plus d'un titre puisque le maître lui-même nous explique ce qu'il pense de chacun de ses films, avec plus ou moins de rapidité (Scarface est évoqué à vitesse grand V tant il semble exaspéré que l'ont se souvienne de lui pour ce film en particulier... En tout cas c'est l'impression qu'il m'a donné).


Évidemment, quand le film sorti, ce fut une hécatombe chez les critiques. L’accueil est aussi violent que le film mais est tout de même défendu par quelques uns (dont l'éminent Roger Ebert et un inconnu du nom de Martin Scorcese). L'impact du film se ressent encore aujourd'hui, et je considère que le film remplit ce que j'appelle les 3C : Classique (10ème meilleur film de gangster par l'American Film Institute), Culte (impact sur la culture pop) et Chef d’œuvre (grandes qualités cinématographiques et scénaristiques, cohérence entre le fond et la forme, etc).
Peu de temps après, Brian de Palma, excédé des embrouilles qu'il a eu avec le studio déclara ceci à l'époque :



« As soon as I get this dignity from Scarface I’m going to go out and make an X-rated suspense porn picture…I’m sick of being censored…So if they want an X they’ll get a real X. They wanna see suspense, they wanna see terror, they wanna see SEX — I’m the person for the job. »



Et ce sera Body Double, somptueux thriller érotique aux allures de Giallo, et véritable hommage à Rear Window et Vertigo de son maître Alfred Hitchcock.


Mais en toute honnêteté, ce n'est pas pour toutes les raisons que j'ai évoqué qui ont fait de Scarface mon film préféré de tous les temps. C'est simplement une question de famille, c'est le film préféré de ma grand-mère, de ma mère, de mes oncles et, du coup, le mien.



« Et ça c'est beau » (Jean-Claude Van Damme)



When you get the money, you get the power... - Part 1

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le 24 avr. 2018

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