Libre dans ses inspirations comme dans ses effets, l'acte inaugural de la trilogie Cornetto ne se plie à aucune servitude. Mi-parodique mi-fasciné, Shaun of the Dead pénètre le genre horrifique en empruntant la voie tracée par George A. Romero : le film de zombies, aux codes sciemment détournés, au sein duquel viennent se fondre une romance classique (tension, rédemption, harmonie), mais surtout une bromance je-m'en-foutiste, liant les inséparables Simon Pegg et Nick Frost.


Colocataires tant par amitié que par défaut – l'un squatte sans vergogne chez l'autre –, Shaun et Ed personnifient à eux seuls l'adulescence : le premier travaille avec des gamins à peine pubères dans un modeste magasin d'électroménagers, tandis que le second passe ses journées avachi sur le canapé, manette de jeu à la main. Tous deux ont leur rond de serviette au Winchester, un bar sans éclat, devenu le tombeau de leur existence amorphe et routinière.


Alors que Shaun vient de se faire lourder par sa petite amie qui lui reproche son manque de prévenance, les morts-vivants s'immiscent peu à peu dans le cadre – et dans la banlieue londonienne. Au plan-séquence accompagnant l'antihéros régressif de chez lui jusqu'à l'épicerie du coin succède un autre, à la structure similaire, éventant cette fois la menace zombie. Le spectateur comprend alors que l'apocalypse est en marche, alors que Shaun, indifférent, n'a toujours rien perçu qui puisse lui indiquer l'abîme naissant.


Visuellement réussi, le film d'Edgar Wright verse les scènes mémorables à gros bouillons : le générique où les caissières, lasses, se confondent avec les zombies ; l'ouverture où le couple-phare se dispute devant ses amis et partiellement à cause d'eux ; le choix patient des vinyles à lancer à la tête des morts-vivants ; le fameux plan de Shaun menant au Winchester, reformaté plusieurs fois ; le final improbable ponctuant une authentique ode à l'amitié...


Le plus surprenant tient peut-être au fait que toutes les dimensions de Shaun of the Dead s'accordent parfaitement. La (b)romance passe avec armes et bagages dans un univers fantastique contaminant peu à peu l'existence de Shaun, d'abord par des cadrages succincts, puis par un péril zombie omniprésent, à la fois gore, burlesque et empreint de naïveté. La cohabitation des genres s'opère avec une maîtrise absolue : aucun n'est condamné à faire tapisserie, aucun ne finit boursouflé de sa propre importance.


Si le film d'Edgar Wright se montre d'une inventivité folle et respectueux de ses modèles, il se distingue aussi par une constitution inégale. Le siège du Winchester, dans sa partie finale, comporte par exemple quelques longueurs qui tranchent avec le rythme adopté jusque-là. C'est toutefois bien moins structurant que l'analogie proposée au coeur du film. Qu'ils se battent à coups de batte, de pelle ou en lançant des objets de cuisine au visage de leurs assaillants, les attachants Shaun et Ed ne masqueront pas l'évidence : les macchabées qui arpentent Londres ne sont finalement que le prolongement caricatural de leur existence hyper-normée et indolente.


Critique à lire dans Fragments de cinéma

Cultural_Mind
8
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le 31 juil. 2018

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Cultural Mind

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