Tourner un film sur la banlieue, c'est prendre des risques: plus d'un s'y est cassé les dents, réussissant certes à convaincre un public conquis d'avance (les banlieusards eux-mêmes, ou ceux qui s'en rapprochent, fiers – et cela se comprend - d'être pour une fois héros d'un film, d'échapper à la marginalisation audiovisuelle qu'ils endurent) mais pas la critique plus exigeante.
J.B. Marlin a tout d'abord eu le mérite de s'éloigner des clichés du genre, tout en demeurant toutefois fidèle à la réalité. En effet, ses personnages sortent des ornières du cinéma de «banlieue», proposant par conséquent des conflits nouveaux, dépassant la simple et sempiternelle question sociale, ici secondaire, pour embrasser un mal plus universel (l'impossibilité de l'amour, ce qui fait d'eux des Roméo et Juliette modernes). Et pour saisir au mieux ces questions, en rapportant ses nuances avec le plus de pertinence possible, il a effectué un casting époustouflant auprès de vrais jeunes de banlieue de Marseille ayant vécu ou vu de plus ou moins près des situations ressemblantes (un exemple troublant: la prostituée, amie de Shéhérazade, qui recommande à Zachary de se dénoncer semble vraiment droguée ou sous cachets, défoncée par la vie, vraie pute peut-être). Les dialogues, frappants de vraisemblance, pas toujours écrits, improvisés à partir de canevas (voir la scène au tribunal) et la langue employée renforcent par ailleurs cette impression de réalisme, de travail presque documentaire. Tout cela englobé dans un travail de terrain réalisé au préalable et dont la volonté est de coller au plus près du réel.
Mais un simple documentaire aurait certainement été trop ennuyeux. Or J.B. Marlin évite largement cet écueil, en partie grâce aux moyens employés par les séries afin d'attirer puis de rendre «accro» le spectateur: musique électrisante, rythme soutenu, nombreux rebondissements, force ellipses réduisant le récit au strict romanesque, action dense, volonté de connaître la suite des événements, personnages attachants et surtout émotion foisonnante (comme le prouve Zachary qui agit toujours sous l'influence de l'émotion, jamais de la raison – c'est pourquoi le spectateur, derrière le "quatrième mur", se demande constamment pourquoi le gamin agit ainsi sans y trouver de réponse). En outre, il apporte des touches de vrai cinéaste à travers des détails intelligents, importants dans le récit car hautement significatifs: comme la main posée sur l'épaule de Shéhérazade au moment où se noue une relation; ou encore Shéhérazade dans l'intimité dormant pouce dans la bouche alors qu'elle fait preuve d'une certaine dureté dans la rue; aussi l'équilibre entre doigt coupé et œil perdu (référence à la loi du talion); etc. Enfin il travaille avec une très bonne équipe, de casting bien sûr, mais aussi pour la bande-son, la co-écriture du scénario, la photo évidemment (avec des influences de Un prophète lorsque Zachary est en prison) et la prod.
Du vrai cinéma français, frais, qui ose et se renouvelle.