En 2007, Jeff Nichols réalise son premier long-métrage Shotgun Stories. Le film va être remarquer et certains critiques vont même jusqu'à comparer le réalisateur/scénariste à Terrence Malick. La comparaison est flatteuse, mais peut aussi devenir un handicap en créant une grosse attente autour de ses prochains films. 9 ans plus tard, on ne peut que s'incliner face à un des meilleurs créateurs du cinéma actuel. Il a su imposer son style et nous offrir des œuvres fortes.


Dans une ville trop calme de l'Arkansas, trois frères vont apprendre le décès du père qui les a abandonné pour construire une autre famille. Ils ont été élevé dans la haine envers leurs demi-frères et avec la disparition du paternel, ce sont de vieilles rancœurs qui vont se réveiller et donner lieu à une spirale de violence entre ces deux fratries.


La querelle familiale trouve ses racines dans le cœur d'une mère haineuse. Elle a transmit ce sentiment à ses enfants et en a fait les instruments de sa vengeance. Le mari alcoolique est devenu un homme pieux pour sa nouvelle famille. Malgré ses deux visages, sa violence s'est transmise dans chacun de ses fils. Dans une ville où les secrets n'existent pas, où chacun se connait, où la précarité colle à la peau et où l'ennui domine en ce lieu dénué de joie, il ne manquait qu'une étincelle pour mettre le feu dans l'esprit de chacun. Il va se propager et détruire ceux qui s'approche trop près de cette flamme qui consume leurs vies en les rendant instable socialement.
Son (Michael Shannon), Boy (Douglas Ligon) et Kid (Barlow Jacobs) ont des prénoms définissant une absence d'identité. Ils ont grandi sans père, dans un foyer se consumant dans la haine d'une mère qu'ils ont rejeté en grandissant. Leurs vies sont en échecs, ils vivent presque comme des sans-abris avec cette incapacité à s'intégrer dans une société ne leur laissant peu de place. Cette Amérique désenchantée où les armes sont plus faciles à acheter que la dignité, les broie doucement mais surement, en leur faisant miroiter un avenir meilleur mais utopique. Leur seul force est d'être trois frères, ils ne peuvent que compter sur eux-mêmes en vivant et mourant pour chacun d'entre-eux.


On retrouve dans le premier film de Jeff Nichols, son style. Ses plans sont magnifiques, cela va devenir récurrent dans ses œuvres, mais son talent ne se limite pas à émerveiller notre regard. Il a aussi cette capacité à nous captiver grâce à la simplicité de ses récits où l'on découvre au fil des minutes, les liens qui unissent les différents personnages, tout comme les motivations de chacun. Il fait preuve de réalisme dans sa manière d'aborder le monde qu'il dépeint, même si cela flirte parfois avec le fantastique comme dans Take Shelter et Midnight Special. Sa façon de procéder permet au spectateur de s’immerger dans l'histoire. Il prend son temps et nous livre divers indices à travers un mot, un regard où un objet.
Cela semble facile en apparence et c'est surement là que réside la plus grande qualité du réalisateur, en nous donnant le sentiment que tout le monde peut raconter une histoire en prenant une caméra et la poser n'importe où pour que la magie opère. Cette impression est permanente pendant qu'on se laisse charmer par les paysages. Dans un premier temps, le plaisir est visuel, avant que le film ne délivre toute sa puissance émotionnelle. Il prend le temps de nous raconter son histoire, en ne faisant jamais preuve de prétention, bien au contraire. On se retrouve doucement sous le charme des personnages, en étant en empathie avec eux surtout quand ils ont les traits de Michael Shannon.


Jeff Nichols et Michael Shannon sont les Martin Scorsese et Robert de Niro de notre époque. 2007, c'est aussi l'année de l'explosion de Michael Shannon au cinéma. Après Bug de William Friedkin, il va confirmer tout son talent dans ce premier film. C'est le début d'une fructueuse collaboration, l'acteur est dans tout ses films. A chaque fois, il tient le premier rôle, sauf dans Mud où c'est un second rôle inoubliable. Les deux hommes semblent se nourrir du talent de chacun. Une complicité qui rejaillit à l'écran où l'acteur trimbale son impressionnante carcasse devant la belle caméra du réalisateur.
Dès leur première collaboration, le magnétisme de Michael Shannon opère. Alors que Jeff Nichols nous hypnotise par la grâce de ses plans, son acteur fait aussi preuve de retenue pour camper un homme rongé par la haine. Cette histoire de vengeance a ses hauts et ses bas. On oublie pas que c'est un premier film et la maîtrise formelle du réalisateur est impressionnante. Au contraire, il n'est pas encore au point dans sa capacité à maintenir le spectateur envoûté par l'histoire. Ce n'est pas qu'elle n'est pas intéressante, mais plutôt qu'elle ne se transcende jamais et reste linéaire.


Jeff Nichols pose les bases de son univers à travers cette histoire de vengeance dans l’Amérique profonde. Son premier essai est une réussite, la suite sera encore meilleure, tout en lui souhaitant de nous offrir de nouvelles histoires envoûtantes.

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le 14 juin 2016

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Laurent Doe

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