Après le très obscur Enemy, Denis Villeneuve revient une nouvelle fois avec un film abordé non sans banalité. Pourtant avec un synopsis tel que "La zone frontalière entre les Etats-Unis et le Mexique est devenue un territoire de non-droit. Kate, une jeune recrue idéaliste du FBI, y est enrôlée pour aider un groupe d’intervention d’élite dirigé par un agent du gouvernement dans la lutte contre le trafic de drogues. Menée par un consultant énigmatique, l'équipe se lance dans un périple clandestin, obligeant Kate à remettre en question ses convictions pour pouvoir survivre », on s’attend à voir un thriller vu et revu. Avant le film, des gens ayant déjà vu le long-métrage m’avait préparé en me disant des trucs du style : « ouais bof c’est de l’action quoi ». Mais à la fin de la projection, je pense plutôt le contraire. Alors, c’est sûr que Villeneuve « nage » sur le genre de l’action, du thriller mais pour autant parvient à tirer son épingle du jeu en nous offrant en cette fin d’année, une nouvelle manière d’aborder un thriller bourré de tensions, à l’image des enjeux autour de cette fameuse frontière américano-mexicaine. Je pense que Villeneuve le fait notamment dans trois domaines (dont un est un spoil), alors attention.



  • La manière concrète de traiter l’histoire : toujours, dans la lignée d'Enemy, le rythme adopté par Villeneuve est plutôt lent. Les scènes sont étirés à leur maximum pour que nous puissions observer attentivement chaque élément se présentant à l’écran. Les agents de la CIA et notre héroïne du FBI (par qui l’on « lit » le film) doivent se méfier de ceux qui les entourent. Mais il faut aussi se méfier de ceux qu’elle côtoient. Ainsi, lorsqu’elle-même est mise de côté, c’est aussi le cas pour nous qui sommes hors de l’enquête. (Exemple capital lorsqu’elle est emmenée à Juarez au lieu d’El Paso). Ceci a pour effet que nous, spectateurs, soyons floués par ce que l’on voit à l’écran à cause du fait que la CIA ait un tour d’avance sur nous. Vers le milieu du film, nous partageons le ressenti de Kate (j’en parle au deuxième point) lorsqu’elle se sent écartée de l’affaire où jusqu’ici nous n’y comprenions pas grand chose. Ce partage de sentiment et plus précisément d'état de confusion du personnage vers le spectateur est un tour de force dans la réalisation de ce film.


  • Le personnage et le point de vue de Kate : dans cet œuvre, comme nous l’avons évoqués, nous voyons derrière les yeux de celle-ci. Elle a pour caractère un certain idéalisme et au début du film, est prête à tout pour retrouver les personnes à l’origine d'un cartel des environs de Phoenix. Kate est marquée par cet épisode introductif (comme nous le montre la scène de la douche mêlant eau et sang). Elle saute sur l’occasion et se déclare « volontaire » lorsqu’elle apprend que la CIA désire qu’elle les rejoigne pour s'attaquer directement aux chefs de cet empire nocif mexicain. En suivant son point de vue, notre opinion sur les personnages de la CIA interprétés par Josh Brolin et Benicio del Toro est totalement influencée. Ainsi, nous avons une image de ces derniers à première vue badass, péjorative où ils apparaissent en réalité comme des brutes (je schématise) engagés par les élites les plus hautes de l'État ne respectant pas la loi (par exemple leurs méthodes non orthodoxes en interrogeant Guillermo). Vu que les ennemis semblent partout, la question que l’on se pose est qui est qui ? À qui doit-on se fier ? Jusqu'où s'établissent les limites ? Villeneuve réussi à nous questionner sur ce qui semblait établi avant que l’on soit emporté par les révélations finales...



Enfin, Les pieds de nez de Villeneuve au thriller traditionnel : Alors que l’on suit les différentes missions de nos envoyés américains, notre attention est de temps en temps concentrée sur un policier mexicain qui n’a d’abord aucun lien visible avec la traque principale dont nous étions jusqu’ici les spectateurs. Ce policier Silvio prend une part plus importante à l’écran avant que celui-ci ne termine de manière funeste. Et dans ce détail se loge une grande force du film. Là où dans n’importe quel autre thriller, notre considération pour ce personnage n’aurait pas précisément existé, dans Sicario, nous pensons à sa veuve et à son fils avec qui il avait une certaine complicité… Enfin, vous avez pu le noter : il n’y pas d’happy end. Une vengeance personnelle a été accomplie mais n’a pas pour autant d’incidence concernant la paix pour les riverains de Juarez. Un cartel est tombé mais la guerre de la drogue opposant les cartels à la police dans laquelle les civils peuvent être investis continue malgré tout. (voir la partie finale de football).


L'énigmatique Alejandro interprété par del Toro se livre petit à petit et correspond à un personnage d’une puissance émotive particulière. Le film est doux, poétique notamment avec les magnifiques plans de paysages comme celui du crépuscule. Mais, le long-métrage alterne ces moments de pause avec des passages plus durs dans lesquels les balles nous font sursauter et nous font prendre conscience du mal que peuvent faire ces pièces en cuivre. Comme dans ses films précédents, Villeneuve soignent la photographie de son œuvre. Il réussit à établir des codes pour faire un bon film parlant aux spectateurs.
Sicario est un thriller haletant qui tient ses promesses et fait partie des œuvres que l’on retient dans un contexte qui peut parfois nous échapper.

Irénée_B__Markovic
8

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le 10 oct. 2015

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Ikarovic

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