Des hasards du calendrier. A peine sèche d’avoir planché sur Asphalte, la plume du critique replonge dans l’encrier pour Sicario.
Le film de Samuel Benchetrit a été qualifié de modeste par l’auteur de ces lignes ; Le film de Denis Villeneuve appelle immédiatement le qualificatif opposé d’immodeste dès les premières scènes.


Le canadien n’a jamais été avare d’images-chocs. Ni dans Incendies qui l’a révélé au grand public, une adaptation de la tragédie de Wajdi Mouawad, son compatriote d’origine libanaise, devenu un film culte pour beaucoup, ni dans Prisoners, un thriller haletant digne des meilleurs Fincher, n’oubliant aucun des codes du genre tout en apportant sa vision personnelle de la violence. Ni même dans Enemy, un film pourtant plus psychologique, plus intimiste. Mais pour Sicario, on est dans les superlatifs, dans l’énormité, et c’est peu de dire que c’est efficace.


Bien qu’il s’en défende vigoureusement, le cinéaste a réalisé un film de genre, un film de cartels, sans doute encore plus marqué que le Cartel de Ridley Scott.
Sicario démarre en trombe par une perquisition dans une des villas d’un chef de cartels à Chandler, Arizona. Kate Macer (Emily blunt) et son co-équipier Reggie Wayne (Daniel Kaluuya, la touche légèreté du film), agents de la DEA (Brigade anti drogue américaine) sont spécialisés dans les kidnappings dans ce genre d’affaires, et c’est à coups de Humvee blindé que leurs camarades du SWAT s’introduisent dans la villa à la recherche d’otages. Si Hollywood nous a déjà abreuvé d’histoires de cartels en tous genres, il saute immédiatement aux yeux que Sicario et, au hasard, Miami Vice ne jouent pas dans la même ligue : Denis Villeneuve frappe très fort dès les premières images avec des cadrages au cordeau, une utilisation du soleil pour une surexposition rendant la scène un peu irréelle, un bruitage en infra-basse et une musique de film d’horreur pourtant concocté par l’islandais Jóhann Jóhannsson de La merveilleuse histoire du temps. Une scène qui donne le ton de ce nouvel opus : à la fois incroyablement sec et effroyablement surchargé. Lorsque les équipes découvrent des dizaines de cadavres en putréfaction dans les cloisons de la villa, c’est tout juste si les odeurs pestilentielles ne traversent pas l’écran, tant la tension est déjà à son comble.


Immodeste et efficace.


Denis Villeneuve est sans doute le cinéaste d’aujourd’hui qui arrive le mieux à créer de telles tensions. Des scènes comme celles-ci, le film en est émaillé. De l’impressionnante exfiltration d’un chef de Cartel à Ciudad Juàrez et ses ahurissantes conséquences en plein traffic jam, à l’attaque d’un tunnel secret filmé en ombre chinoise, puis à la caméra thermique à vision nocturne, les scènes d’action, belles et travaillées, se succèdent comme des gifles sidérantes.


Pourtant le film nous laisse sur notre faim. D’abord s’installe cette sensation désagréable que les scènes s’étirent trop en longueur. La brutalité qui est racontée dans le film n’est pas compatible avec la longueur, sous peine de diluer le propos. Du coup, les acteurs semblent sous-utilisés, en stop-motion presque. Emily Blunt notamment, dans le rôle principal, a l’air hébété de celle qui se demande constamment ce qu’elle fait là, et n’arrive jamais à nous émouvoir, un personnage raté davantage qu’une prestation ratée pour cette actrice excellente par ailleurs ; Benicio del Toro dans un rôle titre qui n’a d’intérêt que le titre, tant ce rôle est complexe, voire confus et peu convaincant. Seul Josh Brolin tire son épingle du jeu, avec son rôle de l’agent CIA cynique et sans scrupule. Son personnage est celui qui est le plus caractérisé, lui permettant de jouer avec plus de nuances que ses camarades. Il est d’ailleurs à noter le revirement positif de cet acteur - à l’instar de celui de Matthew McConaughey - qui rencontre sur le tard des réalisateurs tels que les frères Coen (No country for old men ou encore True grit), Spike Lee (Old boy), Jason Reitman (Last days of summer) Paul Thomas Anderson (Inherent vice) et maintenant Denis Villeneuve. Un homme à qui la quarantaine a été bénéfique.


Par ailleurs, Sicario souffre d’un scénario inutilement complexe, car toutes les arcanes éléphantesques du film accouchent à chaque fois d’une souris. Quand le film est fini, on s’aperçoit qu’il ne s’est pas passé grand-chose. On a beau être virtuose de la mise en scène, un film à ce point dépourvu de scénario fait problème. De plus, Traffic de Steven Soderbergh ou Cartel de Ridley Scott ont déjà tout dit sur la violence qui est le nerf de ce milieu, aussi bien du côté des bons que des mauvais garçons. Denis Villeneuve n’a pas pris le parti de faire exprimer par ses personnages des points de vue plus personnels sur cette violence.


Mais il est vrai que comme évoqué plus haut, ses intentions annoncées ne sont pas de faire un film de cartel, mais davantage de susciter une réflexion par rapport à la violence et à l’efficacité de la violence. De fait, le film hésite entre le revenge movie (il faut voir ces scènes où on se croirait chez Tarantino) ou le film de guerre façon Kathryn Bigelow (la vision nocturne, la salle de torture, le canardage à la Zero Dark Thirty).


Sicario, un film qui reste très regardable malgré tout…

Bea_Dls
7
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le 13 oct. 2015

Critique lue 342 fois

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Bea Dls

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