Kristen, Cholé, google et les nuages.
Une mer de nuages, deux actrices américaines d'aujourd'hui, des images circulant en boucle sur Youtube : Sils Maria met dans la même barque Antonioni et Sofia Coppola, Bergman et le space opera, la peinture de Friedrich et google images. Très chargée, la barque arrive tout de même à flotter, parfois même avec une surprenante aisance. C'est par son côté à la fois cheap et satirique – qui se révèle très nettement à travers les séquences relatant le succès médiatique fulgurant de Jo-Ann Ellis, l'actrice incarnée Chloé Grace Moretz – que le film parvient à faire oublier son poids. En revanche, lorsque la masse nuageuse – le fameux serpent de Maloja – s'enroule autour d'un col pour aspirer le personnage de Kristen Stewart, on est autant dans un pastiche de L'Avventura que devant un film qui aspire au monumental, nous impose l'allégorie (du temps, du cinéma, de ce que l'on veut). On peut trouver cette séquence sublime, grandiose, impressionnante mais c'est précisément parce qu'elle veut impressionner qu'elle me paraît insupportable : elle n'est, en fait, qu'un geste de cinéma qui se montre comme tel.
Sils Maria est donc un film coupé en deux et qui le sait. Il reproduit cette coupure entre deux esthétiques (l'hyper-contemporain et les vestiges de la vieille modernité) à travers son casting et sa fiction : le personnage de Jo-Ann Ellis (Chloé Grace Moretz) apparaît comme une professionnelle de l'image, elle sait être à la fois stupide (en conférence de presse) et cultivée comme il se doit en Europe (elle cite par exemple Tchekhov), elle est flatteuse lors de sa première rencontre avec Maria Enders et impitoyable le soir de la première de la pièce. A l'opposé, Maria paraît bien peu professionnelle par la façon très psychologique dont elle aborde son rôle : la vieille méthode qui est la sienne (qui repose sur le doute, implique un questionnement narcissique) trouve un point de critique parfait dans le personnage de son assistante qui lui lance cette réplique, apparemment anecdotique : « I'm just doing my job ».
On peut faire de cette réplique un véritable point de rupture entre les deux incarnations du métier d'actrice que propose le film: la professionnelle (Jo-Ann Ellis) et celle qui, au contraire, s'abîme encore dans la préparation d'un rôle (Maria). Rien de bien nouveau dans cette distribution de rôles, si ce n'est peut-être le personnage de l'assistante joué par Kristen Stewart. Etrange personnage que celui-ci, qui n'a ni passé ni avenir : il est l'antithèse de la jeune fille au visage brûlé incarné par Mia Wasikowska dans Maps to the stars, il peut disparaître brutalement en pleine montagne parce qu'il ne signifie rien, rien d'autre qu'un présent volatil, où tout s'uniformise dans une vanité à la Bling Ring, où tout est à l'image de ce commentaire laissé sur le net après la mort de Wilhelm Melchior : « Je ne le connaissais pas, mais la mort de quelqu'un est toujours une chose triste ».
Assayas prend acte de ce temps présent sans porter de jugement sur celui-ci, en le regardant presque avec la bienveillance et l'impassibilité de l'assistante qui « fait le job ». Et le film de faire aussi le sien – c'est peut-être sa limite autant que sa qualité – lorsqu'il nous rappelle, par son épilogue, que tout se remplace : les actrices, les assistantes. Sur le plateau où se rejoue pour finir le drame de Maloja Snake, une page se tourne, les places ont changé, plus rien ne sera comme avant. Mais avait-on aussi besoin de nuages pour le comprendre ?