Neuf années. En dépit du succès du premier volet, neuf longues années se sont écoulées au fil de la production chaotique de J'ai tué pour elle, attisant l'attente et, avec, l'excitation. C'est qu'il faut être honnête, et cette suite aux chroniques de Sin City nous le rappelle : si on a parfois vu mieux en une décennie passée, on n'a néanmoins plus rien vu de semblable aux errances de Marv, Dwight et Nancy et leurs délires érotiques, violents, et noirs et blancs. Jusqu'à aujourd'hui.
Marv tente de se remémorer ce qui l'a amené sur une scène de meurtre, Nancy sombre dans la haine et l'alcool après le décès de l'homme qu'elle aimait, Dwight s'abîme dans les bras de son ancienne amante, la sulfureuse et manipulatrice Ava Lord : le télescopage de pages de J'ai tué pour elle et Des filles et des flingues, à défaut d'être aussi insolent que les émoluments de The hard goodbye, fonctionne parfaitement d'un point de vue thématique, et équilibre l'apport féminin du récit. L'occasion de voir un nombre record de poitrines, presque toujours rattachées au corps sculptural d'Eva Green, mais aussi de retrouver le sénateur Roark et les hautes sphères de Sin City, qui servent de toile de fond au film.
La cité, autant que ses héroïnes, n'a également rien perdu de sa beauté glaciale. On aurait pu croire la 3D anecdotique, et elle l'est sûrement du point de vue du divertissement, mais la profondeur de champs ouvre, le temps de quelques fulgurances, de vertigineuses perspectives dans le dessin de Frank Miller. L'occasion d'admirer Sin City en contre plongé, la nuit, depuis une colline, tentaculaire et ombrageuse ; ou encore de retrouver Ava Lord faisant corps avec la lune et transformant l'eau en étoiles à l'occasion d'un bain de minuit. Objectivement, quelques textures baves, quelques inserts ne prennent pas, mais forte d'une patte graphique unique et certainement pas éculée, Sin City attire autant qu'elle répugne, excite autant qu'elle indigne, à la faveur d'un véritable tour de force esthétique.
Une parenthèse, néanmoins : je n'ai pas l'habitude de réagir, ou de commenter les critiques annexes, mais force est de constater que beaucoup se méprennent sur le premier volet autant que sur celui-ci en affirmant que l'usage de la couleur y est plus large ou moins justifié qu'avant. Il y est en réalité sensiblement égal, si ce n'est plus ténu : toujours de la même façon, la couleur des femmes symbolise le désir qu'on éprouve pour elle, l'intégralité chromatique de Marcie ne fait que renvoyer à celle de Goldie, les yeux verts et perçants d'Eva Green au jaune pisseux d'Ethan Roark, et surtout, quand bien même l'abus porterait sur la couleur, aucune scène, à la différence du premier (à tout hasard, les retrouvailles entre John et Nancy), n'est intégralement colorée.
Inutile donc d'inventer des griefs contre cette suite, qui, objectivement, reste inférieure au premier volet. Il y a naturellement matière à reproches : l'alchimie du casting y est moindre, le récit est moins rythmé, les arcs narratifs sont un brin inégaux et l'effet de surprise s'est fané. Reste le pouvoir d'attraction d'une boursouflure exceptionnelle dans l'univers cinématographique, d'un conte morbide en roue libre, où les femmes sont toutes comme Lauren Baccal et les hommes comme Humphrey Boghart, où les culottes tombent et où les membres volent : plutôt que de se palucher, à raison sans doute, sur le très divertissant Gardiens de la Galaxie, buddy movie programmé chaque année à la même date, prenons le temps d'apprécier ce qui nous est donné de pulp solide mais aussi véritablement décomplexé et ce qui, à l'inverse de toute le reste, ne perce qu'une fois la décennie.