Avec Sing Street, vibrante et touchante déclaration d'amour à la pop des années 80 et à l'acte de création collectif, et fantastique petit « coming of age movie », on tient une des surprises de l'année.


En 2014, la comédie musicale anglaise God Help the Girl, du leader de Belle & Sebastian Stuart Murdoch, bijou d'indie/chamber-pop 90s injustement passé inaperçu, avait failli intégrer notre top 10 de l'année. Hélas, il avait perdu au dernier moment au profit du brillant A Most Violent Year, de JC Chandor. Mais il n'en reste pas moins un coup de cœur pour l'auteur de ces lignes : spontanéité de l'adolescence, dynamisme d'une première réalisation (compensant par son énergie irrésistible l'humilité d'une réalisation néanmoins sans grosse faute de goût), élégance brut de jeunes acteurs aussi bons au jeu qu'au chant (Emily Browning y rayonnait), le tout dans une fusion parfaitement naturelle de l'atmosphère pastelle et sucrée des swinging sixties et de notre époque moins colorée, boostée par l'affection flagrante du réalisateur-compositeur pour son trio de personnages, et… par sa musique, bien sûr... si vous aimez le style original de Belle & Sebastian et n'avez aucun problème avec les « musicals », foncez voir ce film. Un élément fondamental de la recette était, naturellement, le succès des passages chantés. Et dans God Help The Girl, ils fonctionnaient. Il fonctionnait SI BIEN qu'à la fin, on se disait « bon, je sais qu'il est fictif, ce groupe, mais putain, je n'aurais pas été contre acheter leur album » ! Et il en est à peu près de même avec Sing Street, qui partage bien des points communs avec le film de Stuart Murdoch : des ados qui s'ennuient, un nord du Royaume-uni un brin austère, un groupe qui se bricole, de la musique lorgnant dans le rétroviseur, et un climax avec audience…


Conditions préalables


Alors, certes, on parle de musique, ici, et il n'y a pas plus arbitraire que les goûts musicaux. Autant deux personnes ayant des avis opposés sur un film ou un livre pourront en discuter de manière constructive, et l'un pourra, comme cela arrive parfois, convaincre l'autre avec des arguments rationnels, autant l'exercice est quasi-impossible avec la musique : soit on aime, soit on n'aime pas. Si l'on n'aime pas, on consentira éventuellement à ne pas prendre son propre avis pour le jugement objectif et dernier de l'œuvre, mais toutes les explications et louanges du monde regardant la maîtrise technique, la puissance évocatrice des paroles, ou encore l'ingéniosité des références ne changeront rien au fait que l'on n'a simplement pas pris son pied. Si l'on aime, les plus grands critiques musicaux pourront tailler en pièces la performance vocale, cela ne contrariera pas notre appréciation – à moins d'être très, trop influençable. Par conséquent, au sujet des chansons de Sing Street, nous ne nous répandrons pas en arguments analytiques pour justifier notre avis, pour plutôt jouer au jeu des comparaisons : si vous avez aimé les précédents films de John Carney (le délicieux Once et le surprenant New York Melody, très musicaux eux aussi), d'une part, et d'autre part, adhérez à ce mélange de pop et de new wave qui caractérisa la musique des années 80 avec des groupes comme The Cure, A-ha, Spandau Ballet, ou encore Duran Duran, vous pouvez continuez de lire. Ah, et si vous regrettez la décennie en général en dépit des permanentes, ça jouera pas mal aussi.


C'est l'histoire d'un (petit) gars (et de sa nana)


Avec Sing Street, John Carney signe à la fois son film le plus personnel et le plus réussi. Peut-être le plus réussi PARCE QUE le plus personnel. Avant qu'on entende le premier « hit » du « groupe », c'est avec son casting que le film accroche – rien d'étonnant là-dedans. Tout d'abord, le jeune Ferdia Walsh-Peelo (magnifique idée que d'ajouter un prénom insolite à un patronyme à coucher dehors), dans le rôle de Conor/Cosmo. Si sa bouille pouponne de métrosexuel né en 1999 (sic) requiert quelques minutes d'adaptation, elle devient, une fois intégrée, la force de ce touchant personnage de collégien prêt-à-brimer : exit ces acteurs trop beaux et charismatiques pour être crédibles en binoclards et laiderons sans amis, place à un gamin crédible… qui fera d'autant plus d'effet lorsqu'il s'émancipera et mettra le feu à la scène. Parce que oui : le petit gars chante lui-même, en live, les épatantes chansons du groupe (voir la topissime Riddle of the Model, disponible avec d'autres sur YouTube). Mark McKenna épate tout autant dans le rôle d'Eamon, son second, l'autre élément du processus créatif, tout aussi crédible en adolescent sans ami qu'en futur cador de la scène pop-rock – on revient brièvement là-dessus un peu plus bas. Mais si l'on ne doit garder qu'une révélation, alors ce sera l'électrisante et très plaisante à l’œil Lucy Boynton dans le rôle de Raphina, ravissante émulation de Joan Jett et incarnation lumineuse de cette fille que l'on croirait née pour faire bouillir le sang des garçons en quête d'idole (elle rappelle la Penny Lane de Presque Célèbre) et des artistes en quête de muse (« Pour l'art, on ne fait pas les choses à moitié ! », dit-elle à Conor avant de se jeter toute habillée dans une eau glacée pour le bien de leur clip). Sa première apparition est un mémorable moment de romantisme juvénile, et si les cinq ans d'écart qu'elle a avec Walsh-Peelo distraient un peu au début, cela n'empêche pas leur couple de prendre forme (et puis c'est de la fiction, bordel, on laisse bien des Anglais jouer des Russes et des Coréens des Japonais !). Enfin, ajoutons à ce trio Jack Reynor, surprenant grand-frère dont on n'attendait pas grand-chose : plutôt que le cliché humoristique du fumeur de joints cool jusqu'au bout ou de l'aîné brimeur, John Carney en fait un caractère à part entière qui s'avère être, au final, le plus émouvant.


En comparaison, on regrettera de ne même pas pouvoir poser un nom sur nombre de personnages secondaires, à commencer par les trois autres jeunes membres du groupe : les scènes musicales n'en auraient été que plus marquantes, car la musique est souvent une grande aventure collective. C'est d'ailleurs ce qu'exprime chaleureusement le film dans les moments inoubliables où Conor et Eamon composent à deux, tâtonnant, à la fois emballés et incrédules, leurs premières chansons : la beauté de l'acte créatif, la fascination qu'il peut susciter, le tout semblant naître du néant, ou du moins d'une si petite étincelle, si ténue, si inattendue, négligée par ses parents et rabaissée par ses professeurs, et pourtant bien là... En intégrant un minimum les trois autres membres à cette cérémonie, et à condition bien sûr que leurs personnages soient bien brossés, Sing Street aurait été un formidable « film de bande ».


Mais c'est une faute aisément pardonnable, tant ce sur quoi se concentre l'histoire, son jeune héros et son idylle avec la belle Raphina, est beau à voir et à suivre. On a dit combien leur duo marche. Une de ses qualités, qu'on retrouve dans les couples des précédents films du cinéaste, est son intelligence. Carney n'a pas cédé au cliché du couple qui se déteste au début et s'adore à la fin, à l'hystérie comme moyen de divertissement et à la cyclothymie comme moteur dramatique. Ce sont des ados, mais pas des ados cons, nuance. Juste un peu paumés. Et cela aide à partager l'infatuation de chacun pour l'autre. Raphina n'a pas besoin de se réduire à une créature fantasmatique, ni Conor à un ado adorablement gauche.


Sing Street, ce n'est pas du Ken Loach


Certains esprits chagrins, voire carrément morts à l'intérieur, reprochent à l'histoire sa naïveté et son manque de réalisme pour un film prétendant pourtant, justement, à un minimum de réalisme social. Il est vrai que si la figure du touchant loser devenant winner à la sueur de son front n'est pas intrinsèquement liée à la critique sociale, Sing Street commence presque comme un Ken Loach, ou un Mike Leigh. Ok, c'est peut-être un peu exagéré… en tout cas, comme un film inscrit dans la tradition du cinéma social britannique : les parents du héros se disputent tout le temps, le père n'a plus un rond mais le whisky à portée de main, le décor urbain est morose, l'intégration scolaire n'est pas rose, etc. (après tout, tapez « cinéma social » dans Google, et la première proposition sera « anglais »). Du coup, le film choque un peu quand il n'évite pas entièrement l'écueil numéro 1 de son genre d'histoire (d'accomplissement personnel), celui d'une certaine facilité : considérant le contexte économique bien pourri, la condition financière de leurs familles et leur niveau d'éducation, tout s'emboîte indéniablement trop facilement pour les gamins du groupe, de l'acquisition du caméscope (en 1985 !) à son utilisation (et puis où le « caméraman » monte-t-il ses clips ?!), en passant par l'accueil de la part des adultes, ce en dépit d'un personnage de recteur abusif un peu caricatural… Sans compter qu'autre exemple, pour un gamin démarrant son groupe de rock dans le seul but de draguer, Conor se débrouille sacrément bien au chant. Mais s'arrêter sur ces points, c'est passer à côté du film, car Sing Street n'est PAS un film social. À nos yeux, il n'exprime à aucun moment l'envie de recréer l'esprit subversif du rock des 60s ou l'esprit contestataire de celui des 70s – ce serait difficile, avec de la pop aussi inoffensive. Ce n'est pas tant un film sur la rébellion adolescente que sur le simple épanouissement individuel qui rappelle un Billy Elliot, et le contexte social n'y est qu'un cadre, inspiré par l'enfance du réalisateur, sans lequel le côté madeleine de Proust n'aurait peut-être pas eu autant d'impact. La conclusion [spoiler alert !], qui voit Conor et Raphina fuir l'Irlande dans ce petit bateau de pêcheur en carton-pâte, est la meilleure indication que l'on n'est pas chez Roberto Rossellini : John Carney lui-même laisse planer le doute sur la réalité de cette scène, laissant le spectateur choisir entre le happy end littéral (= ils ont vraiment pris ce bateau et vont vraiment gagner l'Angleterre en suivant le ferry pour y vivre leur idylle), la demi-réalité (= ils ont tenté de fuir en bateau mais se prennent une tempête dans la tronche et meurent, et les derniers plans ne sont qu'une vision romantique de cette issue), ou le gros fantasme d'une action qui n'aura jamais lieu (= Conor partant vivre avec Raphina), en tout cas, pas si aisément. On tient donc avant tout un divertissement un brin fantaisiste auquel sa touche de mélancolie donnera toute sa saveur.


Et de ce point de vue, c'est une réussite indéniable. On l'a écrit plus haut, Sing Street est le meilleur film de son cinéaste, entre autre parce qu'il a un son tout aussi catchy mais y ajoute des personnages plus complets. Tour à tour drôle comme les meilleurs souvenirs anecdotiques de virées entre copains de cet âge (belle écriture et belle direction de jeunes acteurs), amer et parfois brutal comme peut aussi l'être ce dernier sans qu'aucun adulte ne s'en rende compte, sincère comme un cri et énergique comme un collégien en chaleur, et en dépit de ses quelques cafouillages scénaristiques, c'est un plaisir de la première à la dernière minute qui ravira tant les mélomanes amateurs du genre (excellents choix musicaux, de Flash & The Pan à Motörhead en passant par The Jam et les groupes cités plus haut) que les romantiques désespérés. D'un postulat de base un peu cliché et potentiellement neuneu, John Carney a réussi à tirer une histoire à la fois humble et galvanisante, pleine de caractère, forte de personnage originaux et authentiques. Et surtout, avec ce film, il ajoute une nouvelle pierre précieuse à un édifice diablement personnel que l'on peut voir comme une célébration de la magie de la musique. Puis de toute façon, un film qui se fout (gentiment) de la gueule de Phil Collins ne peut qu'être formidable.


Jusqu'où John Carney va-t-il aller, comme ça ?

ScaarAlexander
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Mes sorties ciné 2016 et Mon Top 10 de l'année 2016

Créée

le 28 nov. 2016

Critique lue 719 fois

2 j'aime

1 commentaire

Scaar_Alexander

Écrit par

Critique lue 719 fois

2
1

D'autres avis sur Sing Street

Sing Street
Peaky
10

The Get Down

Ce n’est pas une bouffée d’air, c’est un ouragan de fraîcheur, une déferlante d’optimisme, un tourbillon de bonheur qui t’emmène avec lui sans te demander ton avis. On pourrait lui reprocher d’aller...

le 7 nov. 2016

38 j'aime

7

Sing Street
Black_Key
9

Voix sur ton chemin

Dublin. Les pavés, les maisons en briques rouges, les flaques d'eau boueuse, les murs défoncés et recouverts de graffitis plus ou moins réussis, et quelque part au milieu, une école publique...

le 8 avr. 2017

17 j'aime

4

Sing Street
Theloma
8

Singin' in the Street

Forcément quand on a 48 piges en 2016, ce film résonne à vos esgourdes d'une manière tout à fait particulière. Surtout quand s'y retrouvent réunis The Cure, Duran Duran, Motörhead, j'en passe et des...

le 20 déc. 2016

16 j'aime

5

Du même critique

The Guard
ScaarAlexander
7

"Are you a soldier, or a female soldier ?"

[Petite précision avant lecture : si l'auteur de ces lignes n'est pas exactement fan de la politique étrangère de l'Oncle Sam, il ne condamnera pas de son sofa les mauvais traitements d'enfoirés plus...

le 18 oct. 2014

35 j'aime

5

C'est la fin
ScaarAlexander
2

Ah ça c'est clair, c'est la fin.

Il y a des projets cinématographiques face auxquels tu ne cesses de te répéter « Naaaan, ça va le faire », sans jamais en être vraiment convaincu. This is The End est un de ces films. Pourquoi ça...

le 15 sept. 2013

33 j'aime

9

Les Veuves
ScaarAlexander
5

15% polar, 85% féministe

Avant-propos : En début d’année 2018 est sorti en salle La Forme de l’eau, de Guillermo del Toro. J’y suis allé avec la candeur du pop-corneur amateur de cinéma dit « de genre », et confiant en le...

le 2 déc. 2018

27 j'aime

12