Dublin.
Les pavés, les maisons en briques rouges, les flaques d'eau boueuse, les murs défoncés et recouverts de graffitis plus ou moins réussis, et quelque part au milieu, une école publique catholique à faire pâlir les pensionnats les plus stricts de notre hexagone. Remplie de curetons autoritaires et de brutes patibulaires, elle se dresse sur ses murs gris, comme un cercueil enterrant tout espoir de liberté.
Hors de son emprise, la vie à Dublin n'est guère plus réjouissante. Entre crise sociale et crises familiales, les Irlandais se hurlent dessus à la vue de leurs gosses en rêvant de s'embarquer pour Londres, loin de la détresse ambiante qui règne.


Pour les adolescents coincés dans ce merdier, il reste une solution, une échappatoire : la musique. Démarrée sur un coup de tête pour séduire la sublime muse figée sur les marches de son taudis, montée à la hâte avec des inconnus, c'est une deuxième école qui supplante les heures sourdes du collège Synge Street.
Ecole de la vie, guidée par quelques vinyls d'un grand frère aux allures de mentor, elle éclate le gris du pensionnat dans un monde barriolé tourné vers l'extérieur. The Cure, David Bowie, Duran Duran, The Jam font l'éducation d'une bande de potes créée sur pièce pour un groupe improvisé. Pas de chorale assomante, mais du rock, de la pop, de la new wave.


Guidés par leurs dernières découvertes musicales, les gosses de Sing Street s'échinent sur leurs instruments pour donner vie à un fantasme irréel le temps de quelques morceaux inspirés par la belle hantant les pensées du chanteur, Conor.
L'amour, comme la musique, naît d'une pulsion, d'une audace. La prise de risque comme remède au quotidien. Sur les collines verdoyantes de l'Irlande, sur une digue longeant des eaux capricieuses, sur scène même, les gamins de Sing Street s'offrent une bulle d'air, un répit miraculeux comme un énorme doigt d'honneur au malheur qu'on leur annonce.


La tristesse garde pourtant sa place, pointant son nez derrière des murs et de la musique n'étouffant qu'à moitié les cris et les disputes. Loin de la refouler, il faut l'accepter, tomber dans cet état doux amer, happy-sad.
Sentiments contraires et indissociables, ils font le lit de l'immédiate jouissance à côtoyer ces mioches qui gratouillent une guitare, gueulent dans un micro, fantasment sur la vie en la voyant en grand. Après tout, "That’s life. Drive it like you stole it."


Plus que sur les bancs de l'école, la bande de potes aléatoire de Sing Street apprend la vie en plein air. La musique les guide, les forme, les modèle. Et si l'avenir fait s'éteindre les hauts-parleurs, les micros et les guitares, si la vie les éloigne, si le temps fait s'arrêter leur musique, peu importe.
L'écho reste.

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le 8 avr. 2017

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