James est mort, Bond est là.
Résurrection. Encore. A croire que Bond ne peut survivre aujourd’hui qu’en cherchant à coller à l’air du temps. Dans le bon sens quand il explore une facette inconnue de sa personnalité avec Casino Royale. Dans le décor quand il se cherche en clone idiot de Jason Bourne dans Quantum of Solace. Une franchise qui se perd. Et puis arrive un miracle. Un miracle tombé du ciel.
Il aura fallu quatre ans pour découvrir comment James Bond allait revenir sur nos écrans, quelle voie allait-il emprunter. Le personnage James Bond était accompli et éteint dans le précédent film. Sam Mendes, réalisateur d’American Beauty, et ses scénaristes, notamment John Logan, à l’œuvre sur Gladiator, Hugo Cabret et le futur Lincoln, ont décidé de poser la question du mythe. James Bond a-t-il encore sa place 50 ans après ses débuts ? Qu’est ce qui fait un bon James Bond ?
Vivre et laisser mourir
Le réalisateur ne perd pas de temps pour amorcer sa réflexion. Première scène du film avec une énorme course-poursuite dans les rues d’Istanbul. On retrouve le côté ultra-spectaculaire neuneu des deux précédents, avec en point d’orgue un combat dantesque sur un train. Puis, suite à une erreur de jugement, une agent de terrain touche son collègue d’une balle mortelle. Sam Mendes tue littéralement les excès du précédent film et reprend les choses en main. James est mort, Bond renaît.
Pour faire un vrai nouveau James Bond, le réalisateur va d’abord soigner la plastique de son film. A la photographie, l’immense Roger Deakins, chef opérateur des frères Coen, qui éblouit par la pertinence de ses choix de lumières et sa maitrise de la caméra. Avec Mendes, l’homme se permet des audaces invraisemblables pour un blockbuster aussi calibré et ampoulé par un cahier des charges contraignant. L’arrivée à Shangaï de l’espion fait déjà partie des plus belles images que l’on verra cette année. On est abasourdis par un combat mano à mano à Shangaï, ou les deux personnages ne sont que des silhouettes, perdus dans les néons de la mégalopole, et filmé en simple plan fixe avec léger zoom avant. Gonflé, et ce n’est pas fini.
"Désapprendre ce que tu as appris"
Hitchcock disait : « Meilleur est le méchant, meilleur est le film ». Skyfall a un excellent méchant, en la présence de Silva incarné avec délice par Javier Bardem. L’acteur espagnol, comme lâché dans un immense magasin de sucreries, se régale dans son rôle de hacker bisexuel hanté par des démons communs à ceux de Bond. La scène de l’interrogatoire, tout en sous-entendus délicieusement queer et en caresses ultra-évocatrices va retourner le public habituel de 007, l’éternel séducteur misogyne. Incroyablement gonflé devrait-on dire.
Mais ce qui fait de Skyfall un très grand film de James Bond, et plus encore un très grand film tout court, c’est de profiter des 50 ans de la saga pour se pencher sur la mythologie bondienne. Pas à coups de clins d’œil stériles comme dans le ringard Meurs un autre jour non, cette fois, Bond est au cœur de l’intrigue. Son passé cinématographique, ses félures, son enfance, tout revient comme une inévitable plongée dans la psyché du héros anglais. Les symboles introduits dans cette ère Daniel Craig sont détruits par le feu (deux plans sur le visage de Judi – M – Dench au cadre parfaitement symétriques qui appuient par répétition la fin d’un cycle). Les errances des années 2000 sont carbonisées pour réintroduire les codes classiques, non sans s’amuser avec, mais en les traitant avec le plus grand des respects. L’introduction de l’Aston Martin donne au public un frisson de plaisir, car elle est ici la résurrection d’un passé trop souvent oublié. Un passé qui devra forcément y passer.
Meurs un autre jour
Alors Skyfall, meilleur Bond de tous les temps ? Impossible à dire, 50 ans et 6 acteurs différents auront vite fait de cliver le public en des camps irréconciliables. Pour votre serviteur, Skyfall est le meilleur Bond pour des raisons aussi subjectives (notamment un amour inconsidéré pour Daniel Craig, qui encore une fois bouffe le film par son charisme) qu’objectives (le soin apporté à la mise en scène, son scénraio). Mais ce qui fait de Skyfall un immense film, c’est avant tout parce qu’il n’est pas vraiment un James Bond « comme on l’aime ». C’est un épisode de transition, qui trouve enfin la formule magique pour faire cohabiter le neuf et l’ancien et marquer sa différence, son charme désuet dans une forme Ô combien contemporaine. James Bond reviendra. Et pour de bon cette fois.