Il aura donc fallu 6 ans à la saga pour réintroduire James Bond. Sous couvert d’une nouvelle mission, l’objectif est de confronter l'homme, et non l'agent; à une aventure qui le poussera jusqu’au bout de lui même. Depuis 2006, il ne s’agit plus de dérouler une aventure sous les pieds de l’agent secret, jusqu’à ce que le méchant soit châtié et la Bond girl dans son lit. Il s’agit de prendre Bond en tant que personnage, et lui envoyer un maximum de péripétie en pleine figure qui le forcent, en plus de sa mission, à se remettre fondamentalement en question et réagir, se dépasser lui même.


J’ai été autant déconcerté devant Skyfall que devant Quantum of Solace, en 2008. Je suis venu avec mon idée de ce qu’allait être le film (influencé par les échos de la presse, et sans avoir vu la bande annonce), avant de me trouver devant une nouvelle variation du « Reboot de Bond ». Tout comme dans Quantum, l’environnement bondien évolue, même si les situations restent familières. Ce film place Bond au centre d’un film au nombre de personnages réduit (une petite dizaine). Aucune interférence du monde extérieur ne vient perturber Bond, à part une foule de garde du corps anonymes et de grandes questions sur le passé, l'ombre et le devoir.


Dans ce système réduit se produisent alors 5 séquences et un épilogue (Istanbul, Londres, Asie, Londres encore, l’Écosse, et Londres) mettant en scène les personnages bondiens typiques : M, Bond, Q, la James Bond girl, l’alliée, le bureaucrate, le tueur à gage, et un adjuvant final surprenant. Chaque séquence a sa composition propre : une esthétique particulière, un ton donné, un objectif. Elles imposent des différences de rythme, et peu de continuité entre chacune d’entre elle. Un Bond à épisode donc. Le fait que la musique soit banale, le générique sans identité (et visuellement moche) ne font pas de Skyfall un film très solide ni homogène, mais la qualité de chaque séquence suffit à faire de cet opus un Bond qui marquera durablement les esprits :



  • Poursuite à Istanbul : Un Bond qui se rapproche encore pas mal de Quantum of Solace et Casino Royale : la chasse d’un tueur lambda à l’autre bout du monde. Cela manque de caractère mais ouvre quand même le bal en proposant un Bond survolté et démesuré. Elle conjugue tous les éléments d’action bondienne de haut vol (voiture, moto, train, pelleteuse, course à pied), avec une belle complémentarité avec la Bond girl et la victime de départ. Cependant, l’absence de gunbarrel et le générique pauvrement développé manquent à donner à cette séquence son caractère propre. C’est au final une mission relativement quelconque et traitée classiquement, sous le sempiternel commentaire audio de M. Cela dit, combien de films d’action peuvent prétendre à une course poursuite de cette qualité ?


  • Troubles à Londres : une idée originale. Bond revenant après une longue absence dans un MI6 ravagé, le forçant à redécouvrir le monde de l’espionnage. Séquence un peu maladroite, car elle survole à peine les deux enjeux : repeindre l’espionnage britannique, et nous raconter le personnage de James Bond, seul et livré à lui même. Le film reste en surface, mais remplit la fonction ostensiblement visée : introduire tous les personnages secondaires : le nouveau Q, M vieillissante, la routine de Bond au MI6, le nouveau futur M et la nouvelle future Moneypenny. On est pas sensé le savoir, mais le fan perspicace aura, dès la première rencontre entre les deux « M », repéré l’issue du film. Il reste que la mise en scène par les décors et la qualité des acteurs en font un moment reposant et très agréable.


  • Bond en Asie : le Grand Retour de Bond. Comment Bond, seul, autonome, mène une enquête digne de ce nom, de haut vol, en milieu international, loin de la protection de Londres. 007 au service secret de sa Majesté, Bond… James Bond au sommet de son expertise, conjuguant charme, muscles, astuces, acrobaties dans une Asie superbement filmée et mis en scène. Tout y est, et même plus : le monde mystérieux de Bond, les décors grandioses, le luxe et ses règles du jeu, la Bond Girl mystérieuse, l’alliée, le tueur à gage et le méchant, les gadgets remplissant leur fonction. Un ballet parfaitement chorégraphié où tout est sublime. Après 6 ans de Bond rentrant dans son smoking et foirant tout plus ou moins, on arrive en première classe. Une séquence qui dépasse à elle seule en qualité plusieurs opus de la période Moore. Elle dépasse même l’univers bondien avec une direction graphique formidable. Les plus belles rencontres « Bond-méchant » « Bond-femme fatale », « Bond- alliée », dignes de la saga. Si on devait résumer en 30 minutes ce que fut la saga James Bond, cette séquence l’illustrerait mieux que n’importe quel montage.


  • Thriller à Londres : les Bond étant aussi des Thrillers, il fallait passer par cette séquence inscrivant Bond dans le registre du film d’action / d’espionnage moderne. Une séquence encore extraordinairement homogène, et impressionnante car le réalisateur montre sa capacité à construire un enchaînement utilisant tous les codes du thriller : La menace de l’ennemi que l’on croit contenue, le lien avec l’histoire des personnages dans la relation M-Silva, un jeu de chat et de souris technologique, un propos sur l’espionnage contemporain assez réac’ et vite traité, un héros courant à travers la ville pour la sauver du Mal qui s’est introduit en son sein. Le tout culminant en final où les gentils, malgré leurs divergences, repoussent le Mal en se dissimulant eux aussi dans l’ombre et la fumée (bonne utilisation des extincteurs qui poussent au dénouement). Si la séquence précédente montrait 007 et son caractère British en voyage de par le monde, celle de Londres joue sur le thriller d’action torturé, où les espions se pourchassent dans la foule anonyme. Toute ressemblance avec le Silence des agneaux ou Seven est à peine fortuite.


  • Dénouement en Écosse : Changement de registre une nouvelle fois. Après un intermède musical bondien, Skyfall joue la carte du retour aux origines. Du jamais vu chez James Bond, mais pourquoi pas. On rentre alors dans le drame familial qui tient plus du western que du film d’espionnage. Pourquoi pas ? Mendès aime les maisons isolées où se dénouent les passions. Ici, le final est explosif et si impressionnant visuellement que l’on oublie l’agent secret. Après tout, en tant qu’être humain, Bond peut aussi se prêter à ce type de traitement cinématographique. Et la qualité de la réalisation, articulée aux archétypes bondiens (Bond, M pour Mother, et le méchant – le frère dans l’ombre) réussit un morceau de Cinéma que l’on ne se serait pas attendu à rencontrer chez James Bond.


  • Épilogue à Londres : Après 6 ans de reboot, et 3 films devant lesquels les spectateurs et fans se sont fidèlement donnés rendez-vous, il est temps de remettre la saga dans les rails. Le personnage de M, qui depuis 17 ans devenait de plus en plus maternel et intrusif dans l’action du héros, retourne dans le bureau emblématique. Les derniers personnages récurrents reprennent leur place, et Bond nous montre que, quelque soit sa personnalité, il est un serviteur dévoué au service de sa Majesté. La conclusion était similaire dans C.R. et Quantum, mais qui résiste à entendre une nouvelle fois le James Bond Theme ?



De ce film à séquence, il en sort que ce Bond a du mal à être homogène, puisque l’arc narratif n’est pas très bien tissé (ce qui parallèlement était le point fort de Casino Royale). Il en sort cependant des thèmes bondiens marquant pour cet opus : D’une part un 007 dévoué à son pays, et d’autre part le retour des figures emblématiques de la saga, portées au firmament, avec notemment un grand méchant fantaisiste et intemporel. Ce qui est absent ? Une mission traversant le film de part en part, avec une menace au début qui se matérialise et explose à la fin. Dans Skyfall, chaque séquence possède sa propre menace, et son dénouement (impliquant la plupart du temps des fusillades et des armes à feu, parfois un peu répétitifs). Mais Skyfall restera sans doute dans les mémoires pour la beauté de ses images et de sa réalisation.

Ytterbium
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le 13 mars 2015

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