J’aime Tim Burton un peu comme on aime un vieux grand oncle un peu chelou qui vit à la campagne et que nos parents nous obligent à aller voir une fois par an pour souhaiter les voeux. Il vit dans une vieille bicoque qui sent la naphtaline et la poussière, et nous refile à bouffer des vieux biscuits trop mous. La plupart du temps, il répète les mêmes histoires du passé, encore et encore, avec toujours les mêmes figures de style, les mêmes anecdotes, les mêmes protagonistes, et on l’écoute d’une oreille distraite en regardant par la fenêtre. Et puis parfois, par un généreux hasard, une fois tous les cinq ou dix ans, il se met à nous narrer l’histoire d’une autre façon. On connait la fin, bien entendu, mais on se prend à écouter plus attentivement, tout d’un coup intéressé par ce récit étrangement commun mais furieusement prenant.

C’est la raison pour laquelle j’aime tellement Sleepy Hollow. Je trouve que c’est le film de Burton qui met le plus en valeur ses qualités de réalisateur et qui fait le plus fi de ses défauts et tics cinématographiques. Un parfait équilibre. Non pas que je déteste le vieux Timmy, loin de là (tout comme on aime ce vieil oncle, en dépit de tout), mais force est de constater qu’il a certains thèmes de prédilection autour desquels il aime broder. Cette Légende du cavalier sans tête ne s’éloigne pas de ces thèmes : ils sont tous là. L’inspiration gothique, l’incursion de l’anormal dans un quotidien banal, science VS. surnaturel, l’esprit étriqué de village, la figure de l’incompris(e) ouvert(e) d’esprit, l’humour absurde … Mais Sleepy Hollow parvient à mélanger tout ça pour en faire une tambouille cohérente, artistique et surtout carrément fun.

Une fable gothique

« There is a town upstate, two days' journey to the north in the Hudson Highlands. It is a place called Sleepy Hollow. Have you heard of it? »

Ce qui me plaît le plus dans le film, c’est qu’il s’agit d’une vraie histoire, dans le sens pur du terme. Un conte, dont on est l’auditeur captivé. Alors évidemment, tout d’abord parce que l’oeuvre est adaptée d’une nouvelle de 1820 dont elle maintient l’esprit mystérieux. Mais aussi et surtout parce que Burton place constamment son personnage principal et son spectateur dans la position de celui qui écoute attentivement tandis qu’on lui lit une histoire. Preuve en est l’omniprésence de la narration : Baltus Van Tassel raconte la légende du cavalier sans tête ; Katrina narre l’origine de sa famille et ses souvenirs ; Lady Van Tassel revient sur son passé et les actes qu’elle a commis. A chaque fois, c’est par le biais d’une histoire orale que les personnages nous délivrent des pièces du puzzle. Burton prend aussi bien le temps de structurer son récit, avec une introduction qui balance sans dialogue les premières clés de compréhension (les mains qui se tiennent, la signature du testament, la cire qui scelle l’enveloppe), et une conclusion positive qui sort des ruelles étriquées du village pour s’ouvrir grand sur le monde.

Comme dans les contes, le décor est tout en ombres et en brouillard, avec la proximité d’un bois empli de secrets et de terreur. Et comme dans tout bon conte, il y a un big bad, un bon gros méchant à la sale gueule (quand il en a une) et aux intentions malveillantes sans aucune dualité : c’est un vrai mauvais qui ne peut être racheté. L’une des réussites du film est aussi dans cet antagoniste hyper charismatique (merci Christopher Walken, qui prête son charme dérangeant au personnage) qu’on craint autant qu’on attend avec impatience. Côté couleurs du film, c’est la même : une dominance de noirs et de gris, avec l’apparition symbolique et récurrente du blanc de la pureté (Katrina dans sa cape) et du rouge de l’interdit (le sang, la cire) qui vient éclabousser les clairs obscurs. Toute l’imagerie gothique est présente, des maisons aux arbres biscornus en passant par les calèches qui s’enfoncent dans la nuit. Rarement univers visuel n’aura été si charmant autant qu’effrayant.

Film d’horreur 2.0

J’ai toujours un petit sourire en coin quand on parle de Sleepy Hollow comme d’un « film d’horreur » tant il s’éloigne, pour moi, de ce terme un peu restrictif. Néanmoins, on sent que Burton joue avec les codes de ce cinéma-là, les prenant presque à contre-pied. A commencer par la classique scène de meurtre d’ouverture : les slashers ont leur blondinette désespérée, Sleepy Hollow a son vieux papy qui s’accroche à sa perruque. La plupart des meurtres du film, d’ailleurs, touchent des hommes d’un âge avancé qui s’enfuient comme des fillettes apeurées lorsque vient le Grand Faucheur de têtes. Face à la mort, y’a pas de couilles et de testostérone qui tiennent. Ichabod, le premier, est un peureux de premier ordre, tombant dans les pommes à la moindre occasion, poussant des gémissements, montant sur une chaise pour échapper à une grosse araignée (je ne jette pas la pierre, si je trouve une mygale de cette taille sous mon lit, je change d’appart). Les codes sont donc bien là, mais clairement subvertis, avec une belle touche de second degré en cadeau : le meilleur exemple est la mort de Philipse qui prend l’expression anglophone « getting head » presque au pied de la lettre lorsque la tête du pauvre magistrat roule jusque dans l’entrejambe d’Ichabod Crane.

Gros clins d’oeil aussi à l’imagerie horrifique classique et enfantine avec l’épouvantail « Jack O’Lantern » et sa gueule de citrouille, la figure classique de la sorcière dans les bois ou la veilleuse qui projette des images de monstres sur les murs de la maison de la sage-femme. Parce que les contes pour enfants sont une sorte de préambule aux films d’horreur, Papy Burton nous renvoie à cette période révolue où l’on frémissait en entendant Hansel & Gretel ou Le Petit Chaperon Rouge, et où l’on croyait dur comme fer que le loup était réel et que la sorcière était une sacré barjo qui bouffait les gamins. On retrouve dans Sleepy Hollow je trouve une certaine forme de respect par rapport à cet imaginaire-là, mais ça n’empêche pas l’efficacité de l’horreur : ce que nous montre Burton c’est que ça parvient quand même toujours à faire flipper.

Un casting à en perdre la tête

Il faut absolument saluer aussi et surtout le casting impeccable. Je suis loin d’être un fan de Johnny Depp, mais il trouve dans Ichabod l’un de ses meilleurs rôles, certes avec sa part de fantaisie, mais sans jamais tomber dans l’excès de certains de ses autres rôles phares. Christina Ricci et ses grands yeux inquisiteurs est elle aussi l’héroïne gothique parfaite, étrange et intrigante mais aussi pure et innocente. Du côté des seconds rôles, c’est clairement du lourd : j’ai parlé de Walken, mais faut citer Miranda Richardson en connasse au coeur de pierre, Michael Gambon en gentil nouveau riche, Richard Griffiths en constable crédule et quelques autres figures emblématiques d’un cinéma d’autant (Martin Landau, Christopher Lee). Il faut les chercher, les films où autant de grands noms acceptent de se faire couper la tête.

Avec Sleepy Hollow, Tim Burton parvient à concilier hommage et modernité, scénario connu (la légende est un classique de la littérature anglophone) et visuels originaux (pour l’époque, les effets spéciaux avaient clairement de la gueule). Moi je le vois comme un conte traduit pour le média cinématographique, une vraie aventure riche en rebondissements, en faux semblants et en touches d’humour. Et puis purée, cette musique ! Cette atmosphère ! Même les quelques shots où l’on devine un arbre en carton-pâte ou un ciel dessiné sur une toile tendue ne peuvent entraver le récit, tout comme la maison en pain d’épice ou le loup déguisé en grand-mère semblaient faire sens dans leurs contes respectifs. Et tant pis si on la connait déjà, cette histoire, tant pis si on sait comment ça finit : c’est tellement bien raconté que l’on reste suspendu aux lèvres du narrateur. Merci grand-oncle chelou.

Et puis au final peu importe si l’on a 5, 25 ou 50 ans : les contes sont intemporels.

Wittle
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le 3 avr. 2016

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